3LETTRE A MONSIEUR HENRY ARNAƲD.
LES marques que vous m'avés données de vôtre bonté, ont faite une impreſſion ſi vive & ſi profonde dans mon coeur, que je me croy oblige de vous en temoigner ma reconnoiſſance. Des le premier moment que j'eus le bonheur de vous voir, vous m'ouvrites vôtre coeur, & me ſites la grace de me recevoir an nombre de vos amis; de puis ce temps la, les imperfections que vous avés pû remarquer en moy, n'ont pas été capables de vous rebuter, ni de vous refroirdir. Car toutes les fois que j'ay eu la douce ſatisfaction de m'entretenir avec vous, j'ay connu que vous aviés toûjours pour moy la même tendreſſe & la même cordialité, & une affection veritablement paternele & Chrétienne; Mais je puis vous aſſurer en même temps, que la connoiſſance que j'ay eu de vôtre Charité, de vôtre zele pour la gloire de Dieu, accompagné d'une prudence Evangelique, d'une patience invincible, & d'une humilité profonde, a rempli mon ame d'une eſtime toute particuliere pour vôtre perſonne. J'admire avec tous ceux qui ont le bien de vous connoître, & les évenemens4 de vòtre vie, ce que Dieu a fait en vous & par vous; & je le beni de tout mon coeur, avec toutes les bonnes ames, de ce qu'il luy a plû de ſe ſervir de vous, comme d'un glorieux & fidele inſtrument, pour la conſolation, & pour le ſoutien des Egliſes deſolées du Piemont, que nous devons regarder comme les Soeurs ainées de toutes les Eſgliſes Reformées.
Permettés moy, Monſieur, de vous dire que ce que vous mavés raconté touchant les merveilles que Dieu a faites par ſa puiſſance & par ſon infinie miſericorde, pour la delivrance de ces pauvres Eſgliſes, au milieu des crüelles Perſecutions où elles ont été engagees, ſur tout de puis le regne de l'Antechriſt, & dont l'évenement en nos jour à fait naitre en moy un trés-grand deſir de voir l'Hiſtoire de leur Antiquité, de leur perſeverance, & de leur preſervation miraculeuſe, ecrite de vótre main.
Et ne penſes pas, je vous prie, que je ſois le ſeul qui le ſouhaitte. Il y a un trés-grand nombre d'ames pieuſes & devotes qui le deſirent avec moy, & qui croyent qu'un detail de tant d'évenemens merveilleux qui ont paru dans la longue profeſſion de la verité, parmi nos pauvres freres Vaudois, ſeroit trés-utile dans cette conjouncture de temps. On vous regarde comme un autre Paul que Dieu nous a envoyé dans ces Iſles heureuſes, pour nous fortifier & pour nous conſoler; & ainſi une Relation ſimple, de vôtre part, de l'attachement inviolable que ces Cheres Eſgliſes ont toûjours eu pour la pureté & pour la ſimplicite de l'Evangile, & de la fidelité avec laquelle elles ont conſervé les Verites qu'il nous revele ſans aucun mêlange d'erreur & de ſuperſtition, avec les moyens admirables dont Dieu s'eſt ſervi pour empêcher leur ruine, ſera ſans diſpute, une ſource abondante de Conſolation & de joye pour tous ceux qui aiment le Seigneur Jeſus; & en effet, n'eſt-ce pas une choſe bien Conſolante, de pouvoir penſer que ces genereux Piedmontois, plantés de la main des Apôtres, ou des Diſciples immediats des Apôtres, ont conſervé le Culte & la ſimplicité de la Diſcipline Apoſtolique depuis tant de Siecles, ſans que, ni l'Apoſtaſie generale des autres Eſgliſes dO'ccident, ni les ſouffrances les plus crüelles, ni aucune des autres ruſe du Demon, ait été jamais capables d'en alterer la pureté? Car ſi la Perſecution en a emporté un ſi grand nombre depuis 33 Guerres que vous avez eu5 pour la querelle & cauſe de nôtre Seigneur Jeſus Chriſt. Ceux qui ſont demeurés de reſte, n'ont rien perdu de la pureté de l'Evangile, & ont toujours fait paroître un courage invincible pour la maintenir. Et ainſi, qui peut douter que l'exemples de tant de Confeſſeurs du Nom de Jeſus Chriſt, & de tant de genereux & d'Illuſtres Martirs, ne ſoit, avec la benediction de de Dieu, un moyen trés-efficace & trés-puiſſant pour porter les Reformés à avoir plus d'amour & plus de reſpect pour la Sainte Religion qu'ils Profeſſent, & pour les Verités ſalutaires pour leſquelles tant d'excellens Serviteurs de Dieu n'ont pas fait difficulté de s'expoſer à perdre leur biens & leur vie, & tout ce qu'ils avoient de plus cher au Monde.
Mon deſſein, au reſte, n'eſt pas, Monſieur, de vous engager à écrire une Hiſtoire ornée des beautés & des recherches de l'éloquence, pour plaire aux hommes. Mon but encore n'eſt pas de vous porter à mêler dans ce recit Hiſtorique, des reflexions de ſçavoir, ni des ſingularités qui vous regardent en particulier, comme ſeroit vôtre naiſſance & vôtre éducation, ou vôtre état temporel, ſi ce n'eſt en tant que cella pourroit ſervir à vôtre Hiſtoire, & à faire voir les ſecrets & les merveilles de la Providence & de la miſericorde de Dieu, envers vous. Ce que je vous demande principalement, c'eſt que vous nous appreniez ce qui peut ſervir à faire voir l'état des Eſgliſes du Piedmont depuis leur fondation, autant que les Memoires que vous en avés, ſe pourront étendre; ce qui ne peut que rendre leur Nom immortel & venerable parmi le peuple de Dieu, & en nos jours, & dans les Siecles à venir.
Pour c'eſt effet, je ſouhaitterois bien, ſi vous le trouviée à propos, que vous euſſiés la honté de nous parler de l'Antiquité de leur Origine. 2. De leur créance dans tous les points de la Religion Chrêtienne; & ſur tout des Articles qu'il les diſtinguent de la Papauté. 3. De leur Culte & de leurs Liturgies, qui juſtiffieroit la maniere en laquelle les deux auguſtes Sacremens de la Nouvelle Alliance ont été adminiſtres. 4. De l'Ordination de leurs Paſteurs, & de tout l'ordre de leur Diſcipline. Et je voudrois vous prier, enfin, de marquer les ſoufrances de ces Cheres Eſgliſes, les horribles boucheries de ſes pauvres membres, par la crüauté des Sapertiſtieux, & par l'Inſpiration de Rome Idolatre, & la conſtance, le6 courage & la ſainte joye avec laquelle ces genereux & fideles Confeſſeurs & Martirs ont ſouffert pour la cauſe du Seigneur.
Je vous promets, que ſi vous m'accordés la faveur que je vous demande, je ne mettray pas vôtre Réponce ſous le boiſſeau, & ne permettray pas que vôtre recit ſoit inconnu, ou demeure caché. Et pour vous engager à me donner la ſatisfaction que je vous demande, je veux bien vous dire que ſi vous le ſouhaittés, je vous feray voir un abregé de l'etat des Eſgliſes de ce Royaume, & un autre encore, de l'état des reſtes débris de nos Eſgliſes deſolées de France, qui ſe trouvent dans ce Pais icy.
Et pour vous exciter à entreprendre cét ouvrage, je veux bien vous faire part dans cette Lettre, de quelques reflexions que j'ay faites ſuivant ma Port•e, ſur la Converſion de Corneille, par le Miniſtere de l'Apôtre S. Pierre, qui luy f•t expreſſement envoyé par l'ordre de Dieu & par une voye miraculeuſe, pour l'inſtruire dans les Dogmes de la Religion Chrêtienne, comme il nous eſt raporte au Chapitre X. du Livre des Actes des Sts. Apôtres. Cette excellente Hiſtoire que j'ay ſouvent leüe & admirée à la grande gloire de Dieu, qui appelle ceux qui bon luy ſemble, & par les moyens qu'il juge les plus convenables, m'a mis dans la penſee les devoirs des Paſteurs envers les ames comiſes à leurs ſoins, & le devoir des hommes, appelleés par la grace & par la parole de Dieu, & par l'organe de ſes Miniſtres.
Corneille, comme l'Hiſtoire des Actes des Apôtres écrite par S. Luc me l'apprend, étoit un Centenier, étranger de l'Alliance, ne parmi les Gentils. Il commandoit une Compaigne de cent Soldats dans la ville de Ceſarée, ſous l'Authorité des Empereurs Romains. Cét homme bien heureux, quoy que né & élevé parmi les Payens, connut le vray Dieu & la vanité & la fauſſeté de la Religion Payenne, par le commerce apparemment, qu'il eut avec les Juifs, ou par quelque occaſion particuliere, dont l'Ecriture ne fait pas mention. Cependant il ne ſe rangoit pas à la profeſſion ouverte & publique de la Religion des Juifs, & n'avoit pas recú le Sacrement de la Circonciſion, peut être par des égards humains, pour n'attirer pas l'indignation des Romains, & pour ne pas perdre ſa charge. Cependant il paroit qu'il adoroit le vray Dieu, & qu'il ſe conſormoit à ſa volonté, comme on le peut receüiller de la deſcription7 que S. Luc fait de ſa perſonne & de ſes diſpoſitions. Car il le depeint comme un homme juſte, devot, craignant Dieu, plein d'aúmones & de bonnes oeuvres.
Cét homme excellent, etant en Jeúne & en Oraiſon devant Dieu, en un certain temps, fut regardé favorablement de ce pere Eternel, qu'il invoquoit. Il luy envoya un Ange de lumiere pour luy dire, Que ſes Oraiſons & ſes aûmones étoient montées en memoire devant Dieu, & qu'il envoyat des gens en Joppe vers Simon qui étoit appellé Pierre, logé chés un homme nommé Simon, couroyeur prés de la Mer, qui luy direit ce qu'il luy faudroit faire. Ce meſſager celeſte étant diſparu apres avoir fait ſa Charge, Corneille rempli d'étonement, d'admiration, & d'une ſainte joye, pour la Viſion miraculeuſe & celeſte dont il avoit éte honoré, ne manque pas d'obeir aux ordres du Ciel. Il envoya incontinent en Joppe vers S. Pierre, deux de ſes ſerviteurs, & un gendarme, craignant Dieu, apres leur avoir raconte tout ce qui luy etoit arrivé.
Je remarque que la foy de Corneille parut en cette premiere circonſtance. Il ne douta pas que la Viſion qu'il eut, ne vint du Ciel. Il ne luy tomba pas dans la penſee que ce fut une illuſion, ou un preſſage & un artifice du Diable. Il avoit vu des characteres Celeſtes & Divins en ce Meſſager du Dieu vivant, qui luy avoit parlé. Tout l'air de ſa perſonne & le ton de ſa voix, ne reſpiroit que le Ciel, & ſon imagination etoit trés-remplie de ces idees ſurnaturelles; & d'ailleurs ſentant l'efficace du S. Eſprit, il crut & obeit, perſuade de la réalité, & de l'excellence de la viſion qu'il avoit eu.
Il envoya ſes Serviteurs en Joppe, qui obeiſſant à ſa parole, allerent promptement trouver S. Pierre dans le même lieu marqué par l'Ange, prevenu en faveur de leur Maitre par une autre Viſion, & qui partit avec eux pour obeir à la volonte de Dieu, en inſtruiſans Corneille & le recevant dans l'Egliſe.
Je voy dans cette excellente & memorable Hiſtoire, en la perſonne & dans la diſpoſition de foy d'obeiſſance & d'humilité de Corneille, les ſentimens & les mouvemens de foy, de reſpect & d'obe•ſſance où doivent être ceux qui veulent avoir part à la grace; veiller, jeûner, & prier, & être pleins d'aûmones & de charité; & je voy en la perſonne de S. Pierre, le Charactere des vrays Paſteurs de8 l'Evangile ▪ qui remplie d'ardeur & de zéle, ſans écouter ſes mouv•me•s de la chair, doivent obe•r aux ordres de celuy qui les envoye, en prêchant la parole, en exhortant, en inſtruiſant les hommes pour leur ſalut à la gloire de Dieu & à la deſtruction du peché, ſans s'arrêter par quelque obſtacle qui puiſſe ſe preſenter devant eux, imitant en cella, l'exemple de S. Pierre.
Ce Saint Apótre reçoit un ordre du Ciel d'aller vers c•t homme étranger de l'Alliance, pour l'admettre au nombre des Chrêtiens. Cette commiſſion luy paroît d'abord ſurprenante & oppoſee à ſes prejug•s, car il avoit été inſtruit dans l'Ecole des Juifs, qui ſe diſtinguoient des Payens, & qui n'avoit nul commerce avec eux, les•loignans ſur•out de leurs miſteres. Il avoit même ou•ſon Maître qui avoit déclare hautement, lo•s qu'il converſoit en chair, qu'il etoit venu pour ſauver les brebis poties de la maiſon d'Iſraél; que le ſalut•toit des Juifs & qu'on n'ôtoit pas le pain aux enfans de la lumiere, pour le donner aux petitis chiens, deſignant les Gentils; toutes ces choſes avoient rempli ſa penſee, que ce n'étoit qu'aux Juifs que l'Evangile devoit être annoncée, & il reçoit à cette heure un ordre expres d'aller vers un incirconcis, étranger de l'Alliance, pour luy annonncer l'Evangile de Paix. Son coeur s'oppoſe d'abord a cette parole; Car lors que Dieu voulant le diſpoſer à luy obeir, luy fait voir en viſion un grand linceul lié par les quatre bouts, remplis de toutes ſortes d'animaux nets & inmondes, avec cette voix, tûe & mange; qui luy aprenoit qu'il ne devoit pas regarder les Gentils, comme indigne d'être receus dans la nouvelle Alliance; Il répondit, qu'il n'avoit jamair mangé de choſes ſoüillées, voulant ſe diſp•nſer par la facillement, d'aller vers un étranger. Mais la vois du Ciel ayant redoublé pour luy faire entendre que ce que Dieu avoit purifié, il ne devoit pas le tenir pour polu; & en même temps les Meſſagers de Corneille ayant paru, & luy ayant dit, comme leur Maître, homme devot & craignant Dieu, quoy que Gentil, avoit été honoré d'une viſion d'un Ange, qui luy avoit ordonné de l'envoyer chercher en ce lieu. Saint Pierre connoiſſant alors par tous ces miraculeux évenemens, que telle étoit la volonté de Dieu, ſe diſpoſa incontinent d'y obe•r.
Et ainſi, bien loin de renvoyer les Meſſagers qui étoient venus vers luy de la part de Corneille, il s'en alla avec eux, anime par9 ſon zele, & par ſon obe•ſſance aux ordres du Ciel; & il n'eſt pas plûtót arrive en la maiſon du Centenir, qu'ayant apris par le recit qu'il luy fit de la viſion qu'il avoit eüe, de ne tenir & de ne regarder plus pour polus & pour indignes de l'Alliance de grace, les Gentils qui avoient été éloignés de celle de la Loy, adorant les jugemens de Dieu & les richeſſes immenſes de ſa miſericorde envers tous les hommes. Il commença d'inſtruire ſon Proſelite, avec zele, évidence & ſimplicité, luy declarant tout le conſeil de Dieu touchant le ſalut & la Redemption des pauvres pecheurs repentans, par nôtre Seigneur Jeſus Chriſt, le veritable Meſſie promis. Les Oracles & les Propheties Anciennes qu'il r'ameina, remarquans que Dieu n'avoit point d'égard à l'aparence des perſonnes, furent comme l'exorde de ſon Sermon. La perſonne adorable du Seigneur Jeſus, ſa naiſſance, ſa vie ſainte & toute divine, ſa mort, ſes ſouffrances, ſa reſurrection & la gloire où il fut elevé aprés ſon Aſcenſion, en furent les parties, les preuves dont il ſe ſervit pour confirmer ces verites ſalutaires & la divinité du Meſſie, & particulierement furent les Miracles éclatans qui accompagnerent & rendirent glorieux ſon Miniſtere; & le S. Eſprit luy même qui deſcendit incontinent aprés. Et comme S. Pierre parloit encore ſur Corneille & ſur tous ceux qui écoutoient ſon diſcours, en fit l'application miraculeuſe; & l'on peut voir en ſuite les fruits excellens de l'obe•ſſance, du zele, & des exhortations de S. Pierre, qui produiſirent avec la grace de Dieu, l'inſtruction, la converſion & la repentance de pluſieurs pauvres pecheurs.
C'eſt ainſi que tous ceux qui ſont honorés de la charge de Miniſtres du Saint Evangile, doivent s'employer à avancer le Regne du Seigneur Jeſus, & a inſtruire les pauvres pécheurs avec promptitude, courage, zele, évidence, & ſimplicite; car Dieu ne ſe laiſſe pas ſans témoignage; & s'il n'envoye plus des Apôtres, des hommes inſpirés, il pouſſe toújours des ouvriers en ſa moiſſon; il envoye des Paſteurs Ordinaires, qui quoy qu'infirmes en eux même, ſont fortifiés par la vertu & par la puiſſance de Dieu, qui les enrichit de dons néceſſaires pour l'avancement & pour le progrés de l'Evangile, aſin qu'ils ſoient comme des flambeaux au monde, & qu'ils éclairent les hommes pecheurs pas la pureté de leur Doctrine, & par la ſainteté de leur vie. Paix & grace ſoit ſur ceux qui ſont10 annonciateurs de la paix & de la grace, & ſur rous ceux pour leſquels Chriſt eſt mort. Paix & force d'eſprit ſoit particulierement dans le coeur des Paſteurs de l'Egliſe qui ſont ouvriers avec Dieu, & qui doivent travailler à l'édifice de Dieu, au labourage de Dieu. Ils ſont bien-heureux ces ouvriers du Seigneur, lors qu'ils s'appliquent à leurs ſacrés emplois avec une prompte obeiſſance, avec zele & fidelité; lors qu'ils ſont des Chandeles ardentes & luiſantes dans l'Eſgliſe, par leur pureté, & par la pureté de leur Doctrine; car s'ils en introduiſent pluſieurs a Juſtice dans l'Egliſe Militante, ils brilleront un jour comme les étoiles du firmament, au milieu de l'Egliſe triomphante, dans le ſejour de la gloire, aprés avoir été approuvée du Seigneur, dans la derniere journée.
Mais que la confuſion ſera grande, jointe à leur condamnation, pour les ouvriers laches, faux ou corrompus, qui manquent à leur devoir, & qui ſont des mauvais diſpenſateurs de la parole, & des prévaricateurs dans leur charge, qui n'édifient, ni par leur Predication, ni par leur exemple; il vaudroit mieux pour eux, qu'ils n'euſſent jamais été; car ſi cella eſt dit de celuy qui ſcandaliſe un ſeul des plus petits du troupeau du Seigneur, que ſera ce de ceux qui offenſent le grand Paſteur des brebis, & qui ſcandaliſent toute l'Eſgliſe qu'il a rachetée par ſon pretieux ſang, & qu'il tiens plus chere que la prunelle de ſes yeux? De ceux, qui bien loin d'edifier & d'inſtruire, détruiſent & renverſent l'édifice de Dieu, & travaillent à corrompre & à perdre les ames, plûtôt que les ſauver, en propoſant des Doctrines fauſſes.
Et ce n'eſt pas encore aſſes que les Paſteurs prenent garde à propoſer une bonne & ſainte parole, ils doivent être avec cella remplis de zéle pour la gloire de Dieu, en raportans tous leurs ſoins a l'exaltation de ſon ſaint Nom, ſans ſonger jamais à une fauſſe gloire, comme eſt celle qu'ils acquirent lors qu'ils ne penſent qu'a attirer l'aprobation des hommes, en cherchant a leur plaire & à chatoüiller leurs oreilles par leurs Predications recherchées, & parées des ornemens du Siecle. Et combien, ô malheur, y a il de Paſteurs de l'Egliſe qui poſſedent des dons naturels, dont ils font un mauvais uſ•ge, qui ont une memoire excellente, une prononciation agréable, un débit qui plaît, qui recit•nt parfaitement ce qu'ils ont écrit ou medité, qui rempliſſent bien leurs fonctions au dehors, mais a qui11 l'eſſentiel manque, à ſ•avoir un coeur purifié & rempli de zéle, une intention droite, & une ardeur toute ſainte pour la gloire de Dieu, & pour l'avancement en la ſoy des ames qui ſont comiſes à leurs ſoins? Ils ſont remplis d'eux même, & fort ſatisfaits, lors qu'ils croyent d'avoir bien prêch•& qu'ils reçoivent des loüanges de quelques uns de leurs anditeurs, n'aimans rien tant que cét encens; & qui ſe mettent peu en peine aprés cella de ſçavoir ce que devient la ſemence qu'ils ont ſemée dans le champ du Seigneur, & quels fruits elles apporte en eux même & en leurs Auditeurs. Leurs ſoins pour l'Egliſe s'evanoüiſſent aprés qu'ils ſont décendus de Chaire, & leurs Prieres auſſi, & pour eux m•me & pour leur troupeau. Ils ont parû tous de feu dans leur Predication, & comme s'ils avoient perdu toute leur chàleur en prêchant, ils paroiſſent aprés cella froids & languiſſa•s dans toute leur converſation, dans leurs Prieres & dans leur charge.
Le veritable Miniſtre de l'Evangile, & celuy qui eſt ſans preſomption & ſans vanité, qui Prêche du coeur, au coeur, qui eſt le premier êmu & touché de ce qu'il dit, qui cherche•ſe ſauver, & à ſauver les autres; qui prie en ſon particulier comme S. Pierre, qui prie en public, & qui eſt rongé du zéle de la maiſon de Dieu, qui enſeigne, ce dont il eſt luy même perſuadé, qui ne ſe flatte pas, ni ceux à qui il parle; qui ſe cenſure & cenſure ſes Auditeurs quand il le faut; qui travaille par toute ſorte de moyens aprés avoir annoncé les Dogmes du ſalut avec pureté & ſimplicité; de faire ha•r le mal & aimer le bien; & qui en un mot, eſt un fidele diſpenſateur des Miſteres de l'Evangile; qui Prêche une ſainte Doctrine & une ſainte Morale, qui combat & condamne l'erreur ſans balancer, & qui fait une guerre ouverte & declarée au vice & au péché, ou qu'il le découvre ſans avoir égard•l'apparence des perſonnes.
Mais qui eſt ſuffiſant pour ces choſes? Et où eſt le Paſteur qui ne doive trembler ſous la peſanteur d'une ſi grande charge,•ou il sagit d' •tre reſponſable du ſalut des ames, du ſang que Dieu redemandera de ceux qui n'auront pas bien fait leur devoir? Lors que les Miniſtres de l'Evangile penſent aux ſoins infatigables qu'ils doivent prendre pour planter, pour arroſer, pour arracher, coup•r, & retrancher; pour planter l'Evangile, pour l'arroſer par de frequen•es12 quentes exhortations ▪ pour arracher l'hyvroye du champ du Seigneur, pour retrencher de l'Egliſe les vicieux & les ſcandaleux, qui pourroient infecter tout le corps.
Ceux qui ont le plus de zéle & le plus de force, ſe ſentent foibles, & doivent s'humilier devant Dieu qui a mis en eux un grand treſor, comme en des vaiſſaux de terre; cependant ils ne doivent pas perdre courage, ni faire comme Jonas; ils doivent au contraire ſe fortifire en Dieu qui les ſoûtiendra, qui accomplita ſa vertu dans leur infirmité, & leur donnera les dons néceſſaires; car c'eſt luy qui ferme & qui ouvre; il ferme, & nul n'ouvre que luy. Il a les clefs de ſcience & d'intelligence, & il les donnent à ſes ſerviteurs qu'il a choiſis pour parler en ſon nom. Le Prophete ſe reconnoît un homme ſoüillé de lepres, qui à peine peut begayer, lors que Dieu veut l'envoyer a ſon peuple, & Dieu touche ſes levres du charbon vif pris de deſſus ſon autel, & il ouvre ſa bouche afin qu'il annonce ſes loüanges & ſa volonté.
Ce fut ainſi que ce même Dieu, par l'efficace de ſa vertu, inſpira à S. Pierre la reſolution d'aller vers Corneille, & étoit avant cella plein de ſcrupule, quand il s'agiſſoit de converſer avec les Gentils; qu'il eſt moins polué & ſouillé & indigne de participer à la lumiere de l'Evangile. Ce fut Dieu qui diſſipa ſes prejugés & qui le determina d'aller trouver le Centenier étranger de l'alliance, non ſeulement par la viſion qu'il eut, mais encore en rafraichiſſant en ſa memoire, le ſouvenir qui étoit éteint, du Commandement que le Seigneur luy avoit fait, & a. ſes compagnons, avant ſon depart, d'aller endoctriner toutes les nations, comme nous le liſons au dernier chap. de S. Matt. & ſur tout par l'efficace toute puiſſante de ſon Saint Eſprit.
Ce grand Dieu eſt le même, hier & aujourd'huy; il tire ſa loüange de la bouche des petits enfants, & il ne manque pas ſur tout, de ſoûtenir, d'éclairer, de fortifier, & de conduire ceux qui parlent en ſon nom, & qui ſont appellés pour être les Diſpenſateurs des miſteres de l'Evangile; & ainſi afin que ces bien-heureux ouvriers puiſſent travailler avec ſuccés dans l'oeuvre du Miniſtere, & avec la force & la capacité néceſſaires, ils doivent avoir toûjours recours à celuy qui les envoye, de qui dépend toute honne donation & tout don parfait, & le prier ſans ceſſe, qu'il vienne à leur aide; imitans13 en cela S. Pierre; c'eſt un grand Apôtre. qui a eu l'honneur de converſer avec le Seigneur Jeſus, qui a été choiſi pour être du nombre de ſes Diſciples, à qui il a promis que ce qu'il lieroit ſur la terre, ſeroit lié au Ciel, & que ce qu'il delieroit ſur la terre, ſeroit delié au Ciel, & qu'il édifiroit ſon Egliſe ſur la Confeſſion qu'il a faite, qu'il étoit le Chriſt le Fils du Dieu vivant. Ce ſaint homme, neanmoins, tout fortifié qu'il eſt, & par l'excellence de ſa charge, & par l'aſſiſtance de ſon cher Maître & par ſes Divines promeſſes, lors qu'il ſe prepare aux fonctions de ſon Apoſtolat & de ſon Miniſtere, qui l'engagent à ces grands travaux, ſent ſa foi bleſſe & le beſoin qu'il a du ſecours de Dieu; c'eſt pour cela qu'il eſt aſſidu à prier pour attirer la benediction, le ſecours & la protection du Ciel.
Il a profité en cela de l'example de ſon cher Maître, qui ſe retiroit ſouvent à l'ecart & qui cherchoit des rétraites ſolitaires pour prier; il alloit pour lors ſouvent ſur de hautes Montagnes. C'eſt ainſi que S. Pierre, au moment qu'il eſt appellé pour aller annoncer l'Evangile à Corneille, eſt monté au plus haut de la maiſon pour prier, ou pour s'approcher de plus pres du Ciel, & pour être dans une retraite, où éloigné des objets capables de le diſtraire; & peut-il reveiller avec devotion, tous les mouvemens de pieté de ſon coeur, & toutes ſes ſaintes penſees, & les élever à Dieu, & luy demander ſes lumieres & ſa protection?
C'eſt ainſi que les Miniſtres de l'Evangile, doivent être aſſidus à la priere, demander à Dieu ſans ſe laſſer, ſa grace & ſa divine protection, & pour les pauvres pécheurs en géneral, & pour eux mêmes en particulier, afin que le Pere d'éternité, les conduiſe dans leur Miniſtere; qu'il donne efficace à leur parole, ou plûtôt à la ſiene, & qu'il les rendent capables d'endoctriner & d'inſtruire les hommes en ſon nom, en toute débonaireté, pieté & évidence d'eſprit; & de convaincre les contrediſans; & s'ils prenent avec foy & avec perſeverance, celuy qui exauca S. Pierre, & qui le rendit un glorieux Inſtrument en ſa main, pour porter l'Evangile en tous lieux, & pour l'annoncer à Corneille & a ſa famille en particulier; le même Dieu les exaucera eux mêmes & les rendra capables de toutes leurs fonctions, à ſa gloire, au bien de ſes eleus & à la décharge de leurs Conſciences.
14Aprés vous avoir communiqué ces premieres reflexions, ſur le devoir des Paſteurs, au ſujet de l'envoy de S. Pierre à Corneille, vous me permettrés bien s'il vous plaît, Monſieur, de vous preſenter celles qui regardent les fideles particuliers, à l'occaſion de Corneille & de ſa famille; ſur quoy je trouve que ceux qui liſent cette merveilleuſe Hiſtoire, doivent être portés naturelement, s'ils ſont du commun des fideles à reflechir ſur la conduite, & ſur la diſpoſition du juſte & pieux Corneille & de ſa famille.
Il étoit en jeûne & en priere, lors que Dieu luy envoya ſon Ange pour luy faire connoître qu'il dévoit envoyer querir S. Pierre à Joppe, qui l'inſtruiroit de tout ce qu'il avoit à faire. Et l'Ecriture dit d'ailleurs de cét homme bien-heureux, qu'il étoit devot, juſte, & craignant Dieu, & revêtu d'une charité exemplaire. C'eſt avec ces characteres excellens, & dans ces ſacrés exercices, que l'Evangile nous depeint la perſonne de ce Centenier; & elle nous fait connoître en cela, dans quelles diſpoſitions nous devons être nous même, pour être dignes de recevoir la parole, & d'être favoriſés de la grace de Dieu; & ainſi, ſi S. Pierre eſt un modele pour les Paſteurs, Corneille eſt un exemple & un patron pour les Auditeurs, pour tous ceux qui veulent entrer dans le Corps de l'Egliſe. Ils doivent être commé luy, Religieux envers Dieu, l'adorer luy ſeul en Eſprit & verité, le craindre, l'invoquer & le ſervir ſuivant ſa volonté, en pratiquans les devoirs de la premiere table de la Loy; & ils doivent en ſuite être juſtes & miſericordieux envers leurs prochains, ſelon les preceptes de la Seconde, & vacquer en même temps, au jeûne & à la priere, qui ſont des exercices ſi agréables à Dieu, qu'ils obtiennent gratuitement ſon amour, & déſarment ſon courroux. Corneille, étranger de la lumiere, moins inſtruit dans la connoiſſance de la verité, par ſes prieres, par ſes jeûnes & par ſes aûmones, obtint la faveur du Ciel, & l'amour & la protection de l'Eternel. Et ceux de Ninive, jeûnans ſous le ſac & la cendre, & implorans par leurs larmes & par leurs ſoupirs, la divine miſericorde, apr•s avoir oui par la bouche de Jonas les dénontiations terribles du Jugement de Dieu, qui les menaçoit, diſſiperent par cette humilité, la tempête effroyable, qui étoit toute prête de tomber ſur eux.
Mais je remarque encore, que Corneille ne ſe contentant pas de craind•e Dieu, de le ſervir & de s'humilier en ſa preſence, comuniquoit15 ſon zéle à ſa famille, qu'il inſtruiſ••t dans ces devoirs excellens, & la rendoit par ce moyen, participante de ſon bonheur. Il portoit encore ſes ſoins ſur ces Soldats. Car S. Luc remarque, qu'il envoya vers S. Pierre, deux de ſes ſerviteurs, & un gendarme craignant Dieu, de ceux qui ſe tenoient auprés de luy. Ce qui juſtifie l'application qu'il avoit de communiquer à ceux qui luy etoient aſſujeties, ſes ſentimens Religieux.
Ceux qui veulent être contés entre les enfans de Dieu, & être receüs dans ſon Egliſe, doivent en imitant cét excellent homme, craindre l'Eternel, jeûner & prier, faire des aûmones ſuivant leurs facultés, & s'employer avec zele, à l'inſtruction de leurs prochains, & particulierement de leur famille; car ſi ceux qui n'en ont pas ſoin, au regard du temporel, ſont mis par l'Ecriture, au rang des infideles, & au deſſous, que ne doit on pas penſer & dire de ceux qui ne ſe mettent pas en peine de l'entretien ſpirituel de leurs enfans, & qui n'ont nul ſoin de leur avancement en la foy? Corneille s'elevera un jour en condamnation contr'eux, & contre ceux qui ne ſongent, ni a inſtruire ni a édifier leurs prochains; il s'elevera en jugement contre nous, qui ayans plus de lumiere & plus de connoiſſance qu'il n'en avoit, ſommes encore plus obligés que luy à tous les devoirs qu'il pratiquoit avec tant de zéle.
Dieu nous a attirés à luy, il nous a fait connoître les ſecrets & les richeſſes de ſon Evangile, il nous a illuminés par ſon Eſprit & par ſa grace, afin que nous le ſervions, & que nous ſoyons juſtes envers nos prochains. Il nous a dêja tirés, afin que nous courions dans le chemin de vie; car ſans luy, nous ne pourions rien faire; c'eſt par ſa grace que nous ſommes ce que nous ſommes; Et puis que nous nous trouvons en un état plus éclairé que Corneille, & en un temps d'une plus grande lumiere que n'étoit les Juifs, que la nuit eſt paſſée, que le jour eſt approché, que le ſalut eſt prés de nous, & que no•s avons reçû des preuves éclatantes de l'amour de Dieu, nos entendemens ayans été éclairés d'une nouvelle lumiere, nos coeurs rejouis & conſolés par les ſentimens de ſa grace, & nos bouches ayans été ouvertes par le merveilles de Dieu, nous ſommes obliges, à l'imitation de Corneille, non ſeulement de nous confirmer dans l'amour, dans la crainte & dans le ſervice de Dieu, mais encore d'exciter nos prochains a le ſervir en toute reverence, & pieté. Et puis que nous ſommes heure•ſement parvenüe à la16 journće que le Seigneur a faite, nous devons nous réjouir en elle, & inviter nos freres à ce même exercice, & les ſoliciter d'être remplis avec nous, d'une ſainte & juſte reconnoiſſance envers le Pere Eternel qui nous a donné ſon Fils unique pour être nôtre Redempteur, & nous a rendüs participans des fruits de ſes ſouffrances, en formant en nous la foy, qui nous fait embraſſer ſon merite, & qui nous fait obtenir miſericorde aux pieds du trône de ſa grace. C'eſt luy même encore qui fait que nous pouvons juſtifier nôtre foy par nos oeuvres, puis qu'il nous a crées à bonnes oeuvres, par la regéneration qui eſt une ſeconde Création, & par conſequent, un ouvrage de la toute puiſſance de Dieu. Car comme il ni a que luy ſeul qui ait pû nous creer, il ni a auſſi que luy ſoul qui ait pu nous faire des nouvelles créatures.
J'ajoûte à cela, que comme Corneille & ſa famille furent ſaintement diſpoſée à écouter l'Apôtre S. Pierre, à recevoir ces inſtructions pour la Doctrine, & ſes reprehenſions à l'égard du vice & du déreglement, nous devons avoir nous mêmes des diſpoſitions ſemblables; car quoy que nous ayons déja été illuminee par la connoiſſance de la verité, & que nous ſoyons comme autant de tabernacles vivans, que le Soleil de juſtice éclaire de ſes rayons, & qu'il•chauffe par ſa chaleur, nous avons toûjours beſoin de nouvelles inſtructions pour la foy, & de nouvelles reprehenſions pour la corruption & pour les vices qui habitent, & qui regnent quelquefois en nous, aſin que nous portions enſuite des fruits dignes de repentance, à ſalut.
Et ainſi, ces exhortations & ces cenſures ne ſont pas ſeulement neceſſaires, ou pour ceux qui ſont dans les ténebres de l'ignorance, ou pour ceux qui ſont tombés dans les débris & dans la diſſipation des Egliſes, au milieu deſquelles le chandelier de l'Evangile a été éteint par la violence de la Perſecution. Ces divines leçons de la parole, les enſeignemens ſolides & vehemens au regard de la ſainte doctrine & les cenſures du vice, ſont d'une néceſſité abſolüe, aux lieux où l'Evangile eſt prêché, où les Egliſes joüiſſent d'un repos conſtant, & d'une liberté entiere, & où les aſſemblees ſolennelles ſe font frequemment & en des jours marqués. Ces Egliſes tranquilles & heureuſes, qui ſont comme une benite Coſcen, & un champ ſacré du Seigneur, où la parole eſt ſemée par les ouvriers de l'Evangile, ont beſoin d'être arroſees par une ſainte doctrine. 17Et comme il naît dans ce champ miſtique des ronces, des épines & de mauvaiſes herbes, qui ſont les erreurs & les vices, il faut que ces vices & ces erreurs en ſoient arrachés par de vives cenſures, & par des raiſonemens ſolides & véhemens, fondés ſur la ſainte parole de Dieu, qui ſoient puiſſans à la deſtruction des fortereſſes.
C'eſt ce que je reconnois & que vous ſçavés mieux que moy, Monſieur, être d'une néceſſité fort grande en nos jours. On ne vit jamais, depuis nôtre Sainte Reformation, un plus grand relachement dans la plûpart de ceux qui compoſent nos Egliſes, ſoit à l'égard de la doctrine, ſoit à l'égard des moeurs; on ni trouve que peu de Corneilles, peu de familles comme la ſiene, & peu de Paſteurs qui imitent le zéle de S. Pierre. Dans les Siecles precedens on n'avoit pas vû naître tant d'erreurs comme on voit aujourd'huy au milieu même de ceux qui ſe diſent Reformés; dont il y en a qui ſont ſimplement dangereuſes; d'autres qui ſont impies, blaſphematoires, & funeſtes; des hommes élevés dans le ſein l'Egliſe, diſtingués même par leur charactere, travaillent à déchirer les entrailles de leur Mere, & à détruire la paix de Jeruſalem. Ils ne ſe contentent pas de nourrir dans leur Eſprit, des ſentimens dangereux & contraires à la ſainte doctrine de l'Evangile, injurieux à Dieu, à ſon Fils Eternel, nôtre Redempteur, qui détruiſent le fondement du ſalut; ils tachent, en tordant l'Ecriture par l'artifice & la ſubtilité de leur eſprit, de les faire couler dans le coeur & dans l'eſprit de quelques malheureux, pleins de foibleſſe, ou amateurs de la nouveauté; & aprés avoir nourri ces ſerpens dans leur ſein, ils les lachent, afin qu'ils infectent & qu'ils emportent les ames. Outre pluſieurs erreurs, & des hereſies damnables, qui ne paroiſſent que trop dans l'Egliſe, les vices ni ont jamais regné avec plus de licence & déffronterie. La mondanité & le luxe paroiſſent en nos jours parmi ceux là même qui ſe vantent de la plus grande Reformation. Le beauté de la fille de Sion, n'eſt plus au dedans; les filles d'Iſraël ne ſont plus dans une ſainte humilité, & dans une retraite pieuſe. On ne voit parmi elles, que les enſeignes du monde, le faſte & l'oſtentation. Les enfans de la Jeruſalem franche, ne ſe diſtinguent plus des habitans de Babilone;18 & les vices les plus odieux vont la tête levée & ne ſe cachent plus.
Et ainſi tous ceux qui voudront parler avec ſincerité, m'avoüront que nous avous degeneré de la pureté & de la ſimplicité de nos peres; des ténebres d'erreur & de corruption, cachent maintenant la bauté de l'Epouſe de Chriſt. La lumiere de ſes chéres Egliſes paroît éclipſee depuis aſſes long-temps, elles ſont décheües de leur premiere charité, & de leur premiere vertu; & apr•s cela, nous ne devons pas trouver étrange ſi Dieu a ôté ſon chandelier du milieu de pluſieurs de ces Egliſes qui étoient autrefois la joye des Anges & la terreur de Babilone, & il menace les autres de ſes jugemens.
Pour prévenir les malheurs qui menacent les troupeaux qui ſubſiſtent encore en paix, & pour pouvoir eſperer quelque retour de grace en faveur de ceux qui ſont épars, vous avoüré ſans doute avec moy, Monſieur, qu'il eſt de nôtre devoir de veiller, de prier & de jeûner avec S. Pierre, avec Corneille, ſa famille, & ſes amis, pour tacher d'arrêter le torrent de la corruption & de l'erreur. C'eſt par ce ſeul moyen que nous pouvons arrêter les jugemens de Dieu qui s'avancent. C'eſt un devoir général d'élever les Chrêtiens Reformés; mais c'eſt une obligation en particulier de Paſteurs qui doivent ſe diſtinguer du reſte des hommes, autant par le zéle, pour le ſalut des ames & pour la gloire de Dieu, comme ils le ſont par leur Miniſtere. Il ne leur eſt pas permis de demeurer dans l'oiſiveté & dans le ſilence, comme des chiens müets; ils doivent veiller & prier, ne s'épargner pas, élever leur voix comme un Cornet, inſiſter en temps & hors temps, inſtruire, redargüer & convaincre les contrediſans en toute débonaireté d'eſprit, & pureté de Doctrine, travailler à fermer la bouche aux novateurs & aux émiſſaires de Satan & de l'Antechriſt, & faire tous leurs éfforts pour arrêter le vice, pour couvrir les ſcandaleux & les détourner d'une ſalutaire confuſion. Ils doivent travailler ſans ſe laſſer jamais à faire fleurir de nouveau au milieu de l'Egliſe du Seigneur, non ſeulement la pureté de la Doctrine qui nous à été enſeignée par nôtre bon Sauveur & par ſes Apôtres, mais encore la ſainteté des moeurs qui faiſoit autrefois un ſi bel ornémens de la doctrine. C'eſt a ces deux devoirs que Dieu les appelle. Dieu parle par ſes jugemens & par ſes Oracles dans19 ſes Ecritures, & ils doivent ſelon cét Ecriture, parler hautement, tonner & fulminer contre ces malheureux qui veulent introduire des Sectes de perdition, & contre le vice qui d•ſhonore nôtre ſainte Religion & qui fait que nous violons nôtre foy dans la promeſſe que nous avons faite à Dieu, lors que nous avons été reçeus dans l'Egliſe par le Baptême. Dieu veuille faire la grace aux Paſteurs de cette Egliſe ſainte, aux Miniſtres du Seigneur Jeſus Chriſt, de répondre à leurs engagemens & à leur devoir, en veillant avec application pour la ſeureté, pour la bonne conduite & pour le ſalut de Jeruſalem, comme des guettes fideles. Dieu veuille les rendie tous des dignes imitateurs des Apôtres, & particulierement du zéle & de la ferveur de S. Pierre, de ſon humilité & de ſon aſſiduité à prier. Dieu veuille auſſi faire paroître en nos jours, pluſi•urs Corneilles, juſtes, devots, religieux, & fid•i•s à l'Eternel; aſſidus à jeúner & à prier, & pleins d'aúmônes & de bonnes oeuvres, comme il étoit, & faire en ſorte que chaque famille parmi nous, devienne, comme étoit la ſiene, une maiſon d'Oraiſon, un Sanctuaire conſacré, & une petite Egliſe où la parole de Dieu ſoit leüe conſtamment, & écouté avec foy & reverence, parmi le chant des Pſeaumes du Roy Prophete, à la grande gloire de Dieu, pour l'édification publique, & à nôtre ſalut.
Ce ſont les reflexions que je vous preſente, Monſieur, elles ne peuvent être que fort commures, & peu recherchées, venant de moy; mais il me ſuffit qu'elles ayent l'aprobation de quelques bonnes ames, & la vôtre en particulier, & qu'elles puiſſent être d'edification à quelques-uns des mes freres; & paimi leſquels je regarde evec une affection ſinguliere, ceux qui ſont commis à vos ſoins depuis ſi long-temps, & que vous vous preparces d'aller rejoindre. Ils ont eu le bonheur d'avoir été toûjours enſeignés de Dieu, ces chers & pauvres Vaudois, que vous portées dans vôtre coeur, d'avoir reçú la parole en tout temps, Prêchés avec une pureté & avec une ſimplicité Apoſtolique. Il y a eu toújours parmi ce peuple, un nombre de fideles qui ont été devots, craignans Dieu, & revêtus d'une charité Chrêtienne; ce qui a attiré l'amour & la protection divine, ſur leurs Egliſes. Il y a eu pluſieurs Corneille parmi ce peuple, & des vrais imitateurs de S. Pierre, parmi les Paſteurs. 20Vous étes, Monſieur, un de ceux qui ont cheminé le plus droitement & le plus courageuſement, ſur les traces de cét excellent Apôtre. Vous paroiſſes, & vous avés toûjours paru apres luy, revêtu de la fermeté & de la conſtance d'un Cephas, n'ayant jamais moli, n'ayant jamais perdu courage ſous quelques travaux & dans quelques épreuves que vous ayés été expoſe. Vous me permettrés bien encore de vous dire, quoy je ſois tout perſuadé, que vous étes éloigné par vôtre modeſtie, & par vôtre humilité, de tout deſir le loüanges, que je ſuis aſſeuré, que vous ne les recherchés pas, mais l'approbation de Dieu & de vôtre Conſcience, que vous regardés, comme je ſais avec admiration. Ce ſeroit un aveuglement & une injuſtice, de ne pas voir ce que voue étes, ce que vous avés fait; & de ne pas loüer vos actions, les raportans toutes à la gloire de Dieu.
Vous étes par ſa grace, un inſtrument dont il ſe ſert, & dont il s'eſt ſervi depuis long-temps, pour l'edification, & pour le ſalut de pluſieurs de ſes enfans. Vous avés été comme un pere temporel & ſpirituel d'une grande & chere famille que Dieu a commiſe à vos ſoins, & pour garder le Troupeau du Seigneur, qu'il vous a mis en main. Vous avés ſouffert ſouffert comme Jacob, le hale du jour, & la froideur de la nuit. Je puis dire encore, que vous avés rempli vous ſeul, en ces dernieres années, le perſonage de Moïſe, & celuy de Joſué tout enſemble, dans la conduite, dans la deffence & dans l'inſtruction de vôtre cher troupeau; comme un ſecond Joſue, vous avés marché le premier pour defendre vôtre peuple, le vrai peuple de Dieu, & pour combatre les incirconcis, qui l'ont ſi ſouvent attaqué à leur confuſion & à leur perte, par vótre courage & vôtre bonne conduite. Des troupes formidables de loups affamés & devorans ſe ſont ſouvent jettées ſur vôtre pauvre troupeau, & vous l'avés ſauvé & délivré de leur geule bruante; & ſi vous avés paru comme un Joſué pour combattre en faveur de l'Iſrael de Dieu, & comme un autre David terraſſant les Lions & les Ours auſſi bien que les Loups qui venois attaquer vôtre troupeau, vous vous étes ſur tout montré pour ſa conſervation & pour ſon inſtruction, comme un ſecond Moiſe, l'inſtruiſant par la Loy de Dieu, & combattant pour luy par vos prieres ardentes. Ce ſont des verités connües par les21 actions d'éclat que vous avés faites, & qui ne peuvent pas êtres ignorées de ceux qui ſont tant ſoit peu inſtruits des intereſts de nos Egliſes, en nos jours.
Mais ce qui eſt aujourd'huy connu & admiré en vous, par ceux qui vous connoiſſent & qui ont la conſolation de vous entendre ſur la Chaire de verité, c'eſt le zéle & la pureté avec laquelle vous Prêchés la parole de Dieu. Vous preſentés à vos Auditeurs, la pure Manne Celeſte, & non pas des alimens compoſes, & des liqueurs mixtionées; & ſans rechercher des paroles atrayantes de la ſapience humaine que l'Ecriture condamne dans les diſcours de piété, vos inſtructions ſont ſolides & conſolantes; c'eſt de quoy je ſuis d'autant mieux perſuadé, que j'ay eu le bonheur & le plaiſir de vous entendre annoncer la parole, comme un vray enfant de tonerre, étonnant l'erreur, abattant le vice, combattant le luxe & la mondanité & enſeignant la pure & ſainte doctrine de l'Evangile, avec un zéle, une évidence & une force Apoſtelique. Dieu veuille vous fortifier & vous conſerver long-temps pour ſa gloire, pour l'edification de ſon Egliſe, & en particulier pour la conſolation & pour la joye ſpiritüelle & ſainte, du cher peuple qui eſt commis à vôtre conduite, & pour lequel vous vous expoſés tous les jours à tant de fatigues.
Avant de finir cét écrit, quoy qu'il ſoit dêja aſſés étendu, je ne ſçaurois m'empêcher, Monſieur, de vous conjurer de joindre vos ſaintes prieres à mes ſoupirs & à mes ſupplications devant Dieu, afin qu'il luy plaiſe d'avoir pitié de ſa pauvre Egliſe; & de vous ſupplier encore d'exhorter de plus en plus dans les occaſions, les bonnes ames, à ſe mettre à la brêche, par leur devotion, leur jeûnes & leurs prieres, pour arrêter le courroux du Ciel, que nos péchés ont juſtement allumé.
Nous ne ſommes pas aſſes touchés de la froiſſeure de Joſeph; nos exercices de piete ſont froids, les prieres publiques languiſſantes, les devotions particulieres ſont rares. Puis donc que Dieu me met au coeur, de m'exciter moy même & d'exciter mes freres a nous humilier devant luy, aidés moy dans cette penſee & dans ce deſir; & je ne doute pas que pluſieurs bonnes ames n'eutrent dans nôtre deſſein & dans nos ſentimens.
22Travaillons, je vous en conjure, à introduire parmi le peuple de Dieu, une ſainte coûtume de ſe trouver quelquefois enſemble en abregé, & en petit nombre, pour prier l'Eternel, & pour avoir des conferences religieuſes. Que ces petites Societés ſeront agréables à Dieu, & d'un bon uſage, ſi elles pouvoient ſe lier & s'entretenir ſaintement, ſans oſtentation, & ſans aucune affectation qui ſentit la vanité de la chair, & le deſir de ſe diſtinguer par ce principe. Que ce ſeroit une choſe conſolante, ſi un commerce de cette nature, pouvoit ſe mettre à la place de ces aſſemblés d'amis, & devoiſins de ces viſites, d'une ceremonie civile, ſouvent inutiles, & où il ne ſe parle ordinairement que des intereſts du monde, & des nouvelles particulleres ou publiques; & où les entretiens ont ſouvent pour ſujet, la mondanité, la vanité, ou la médiſance, peu dignes par conſequent de ceux qui portent le nom de Chrêtiens Reformés.
Je le dis encore, Monſieur, que ſi Dieu vouloit nous faire la grace de voir, les aſſemblées publiques plus frequentées & avec devotion & humilité, que les Temples fuſſent par une pratique humiliée, ſainte & religieuſe, de veritables maiſons d'Oraiſon & de jeûne; & qu'outre ces Aſſemblées, quelques particuliers fideles vouluſſent ſe trouver emſemble de temps en temps, pour prier & pour s'humilier devant Dieu, nous verrions renaître le temps heureux du premier Chriſtianiſme, où les enfans de l'Eternel n'étans qu'un coeur & qu'une ame, s'aſſembloient frequemment pour s'exciter à craindre, à ſervir, & à prier le Dieu de grace & de verité.
Il ne faut pas négliger les Mutüeles aſſemblées; mais comme on doit faire en particulier en ſa famille des exercices de devotion & de pieté, on pourroit ſe trouver auſſi quelques fois enſemble un petit nombre de fideles, pour vacquer à la priere & à la meditation; dans cette penſée & dans cette certitude que la où deux ou trois ſe trouvent aſſemblés au Nom de Dieu pour l'invoquer & pour s'humilier devant luy, le Dieu vivant ſe trouve au milieu d'eux.
23Selon cette pratique ſainte, nous imiterions les ſaints. Apôtres & les Diſciples du Seigneur. Saint Luc nous apprend qu'ils s'aſſembloient ſouvent pour prier; ils étoient dans cét exercice Religieux, lors que le Saint Eſprit deſcendit ſur eux le jour de la Pentecôte. Ils étoient encore en priere dans la maiſon de Marie, lors que S. Pierre, aprés, avoit été délivré miraculeuſement de la priſon où Herode l'avoit mis, heurta à la porte du lieu où ils étoient en priere, & qu'il les remplit d'admiration & de joye quand il leur raconta ce que Dieu avoit fait pour ſa delivrance. Ceux qui étoient les mieux inſtruits dans les miſteres du ſalut, ſe trouvoient enſemble pour prier, & Corneille moins éclairé qu'il n'étoint, l'étoit pourtant aſſés pour ſçavoir que la priere étoit un exercice trés-agréable à Dieu, & ſalutaire à l'homme & le pratiquoit ſeul & avec ſa famille & ſes amis; & il ne pria pas en vain, & ſes aûmones ne demearerent pas auſſi ſans fruit. Dieu le regarda en ſon amour, & le reçût dans ſon alliance & dans ſon Egliſe. C'eſt ainſi que ce grand Dieu uſera de gratuité & de miſericorde envers ceux qui s'humilieront profondement devant luy, & qui ſeront pieux & Charitables.
Excités, je vous en ſupplie, de plus en plus vos chers Auditeurs, à ces devoirs, & à ces ſacrés exercices. Preſentés leur cette Lettre de ma part, variée par des reflexions, qui quoy qu'elles ne ſoient pas toújours regulieres, & qu'elles paroiſſent quelquefois ſans beaucoup de liaiſon, tendent pourtant à la gloire de Dieu, & à l'avancement en pieté des fideles. Je ſuis tout perſuade que ces bons & francs Chrêtiens liront avec conſolation & édification, ce petit écrit, & qu'ils en feront un bon uſage ſuivant la droiture & la ſimplicit•de leur coeur. Je fais des voeux particuliers pour eux, pour leur conſervation, pour leur repos, pour leur accroiſſement en nombre; mais ſur tout en zéle & en piété; & afin qu'ils ſuivent toûjours l'exemple de leurs peres fideles, qui ont perſeveré ſi conſtamment à cheminer & à courir dans la carriere du ſalut, & qui ont tant ſouffert pour la cauſe de l'Evangile.
Et je fais ſur tout des voeux trés-ardents & trés-ſinceres pour vous, Monſieur, afin que Dieu vous fortifie de plus en plus, qu'il vous conſerve, qu'il beniſſe vos travaux, vôtre perſonne, tout vôtre troupeau & vôtre chere-famille. Je vous demande le ſecours de vos prieres pour moy qui me ſens ſi peu avancé en connoiſſance,24 que j'ay toujours heſoin qu'il plaiſe á Dieu de me conduire par ſa main, & de me donner ſon Saint Eſprit pour continüer à travailler a le connoître de mieux en mieux & à le ſervir & pour conrinüer & finir ma courſe à ſa gloire, à l'édification de mes freres, & à mon ſalut. Je vous demande, enfin, & vos prieres & vôtre ſainte bénediction, pour moy & pour ma chere-famille, & qu'il vous plaiſe de m'entretenir toújours dans vôtre ſouvenir & dans vôtre pretieuſe amité. C'eſt de quoy je vous conjure, avec la même affection, que je ſuis, & avec beaucoup de reſpect,
MONSIEUR,A Londres le30 May, 1699.
Vitre trés humble & trés-obeiſſant Serviteur, JEAN DELME '.