PRIMS Full-text transcription (HTML)
5050EPISTRES D’OVIDE,
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MEDE’E A JASON.

J’Estois née à Colchos dans le rang de Prin- cesse,
Lors que tes faux sermens suprirent ma ten- dresse,
Et je ne voyois rien qui ne dût m’obeïr,
Quand j’employay pour toy mon Art à me tra- hir.
C’étoit, ingrat, c’étoit avant cette victoire
Que je pouvois mourir avec toute ma gloire,
Et je n’ay trop vécu que depuis que Jason
A charmé tout mon charme & volé la Toison.
Falloit-il que d’Argos le funeste navire
Enlevât avec moy l’appuy de nôtre Empire?
Falloit-il que les Grecs pour troubler mon repos,
Beussent de l’eau du Phase, & vinssent à Col- chos?
Devois je en tes cheveux enchaîner mes desirs?
Devois-je t’écouter, ou croire tes soupirs?
Si Typhis eût pris port dans l’horrible contrée
Dont le nom est fameux par la Toison dorée,
Jason, qui met sa gloire en des exploits si beaux,
Eût couru se livrer aux flâmes des Taureaux.
Il eût forcé la terre à devenir la mere
D’un escadron armé contre son propre pere;
Et ces guerriers ingrats le perçans tour à tour
Eussent donné la mort en recevant le jour.
Ta mort eût étouffé toute ta perfidie,
Ta mort eût assuré le repos de ma vie,
Et51MEDE’E A JASON51
Et par ce beau trépas nous serions à present,
Et moy moins mal-heureuse & toy plus innocent.
Je trouve dans l’ardeur du beau feu qui m’anime
Un espece de joyé à repasser ton crime,
Et de tous nos plaisirs qui n’ont te toucher
Je n’ay plus que celuy de te les reprocher.
Lors qu’on te sit partir sur une Mer émeuë,
Lors qu’on te sit chercher une route inconnuë,
L’on te vit à Colchos, ton cœur amoureux
Trouvoit assez d’appas pour y borner tes vœux.
Dans cette aimable terre, abondante en richesse,
J’étois ce qu’est icy ta nouvelle Maîtresse,
Et son père n’a rien à ne le point flatter
Que lors avec raiſon le mien pût souhaiter,
Creon voit de deux Mers sa puissance bornée,
Et quoy que contre Aëte ait fait la Destinée,
Le pont de la Scythie est assez éloigné,
Et tous deux ils bornoient mon père a regné.
Il vit avec plaisir que les Princes de Grece
Nous avoient envoyé leur plus belle jeunesse,
Et ce qui fait horreur de ton manque de foy,
Il te sit un accueil digne d’un si grand Roy.
Je te vis, & j’appris le lieu de ta naissance,
Mais je vis aussi-tôt mon peu de resistance,
Et tes premiers regards triomphans de mon cœur
Firent ton premier crime, & mon premier mal- heur.
D’abord quoy que ce fût une premiere veuë,
De ce je ne sçay quoy je me sentis émeuë,
Et n’ayant rien aime jusqu’à ce triste jour
Je connus que j’aimois sans connoître l’amour.
Je te vis si charmant qu’il fallut bien me rendre,
Tes yeux étoient trop beaux pour m’en pouvoir deffendre,
Et mon Destin d’accord avec tous tes appas,
Achevoit dans mon cœur ce qu’ils ne faisoient pas.
C2Tu5252EPISTRES D'OVIDE,
Tu sçeus que de mon feu l’ardeur étoit extréme,
L’amour se sert de tout pour se trahir luy-même,
Et quelque soin qu’on prenne à le dissimuler,
Sa flâme a trop d’éclat pour se pouvoir celer.
Un jour, je m’en souviens, j’étois avec mon pere,
Lors que tu demandois qu’on t’ouvrît la carriere,
Et ce Prince alarmé du peril de Jason,
Te disoit à quel prix l’on gagnoit la Toison.
Il te contoit l’horreur que dans toute la plaine
Jettoient les deux Taureaux de leur brûlante ha- leine,
Et t’apprenoit, touché de ce qu’on doit au rang
Combien à les dompter il coûteroit de sang.
Leurs feux, te disoit-il, sont bien plus redouta- bles
Que ce que la nature inspire à leurs semblables,
Et Mars a reparé par un charme jaloux
Tout ce qui leur manquoit de force & de cour- roux.
Leurs pieds sont tous d’airain, de bronze leurs na- rines,
Et pour joindre la ruse à leurs forces divines,
L’on voit une fumée autour de chacun d’eux
Qui le rend effroyable & le dérobe aux yeux.
Et si vous échappez de cette horrible guerre,
Il faut du Champ de Mars ensèmencer la terre,
Et tirer de ses flancs des Guerriers tous armez
Contre le même bras qui les aura ſemez.
Aprés ce grand combat il faut trouver l’adresse
De dissiper un charme le Ciel s’interesse,
Et l’on doit assoupir un Dragon sans pareil
Qui n’a jamais connu les appas du sommeil.
A ce triste recit dont tu sentois l’atteinte
Tes Heros alarmez avoient pâly de crainte,
Et le plus assuré de tous tes demy Dieux
Sortit la peur dans l’ame, & la mort dans les yeux.
Ta53MEDE’E A JASON.53
Tu n’avois pas, Jason, pour ta chere Greüse
Ce precieux amour que ton cœur me refuse,
Et la soif de regner n’êtoit pas dans ton cœur,
Ou n’étoit plus alors qu’un larcin de la peur.
Je te vis abîmé dans ces sombres alarmes,
Mais je ne te pus voir sans répandre des larmes,
Et lors que tu sortis tu pouvois te flatter,
Que c’étoit à regret que je t’allois quitter.
Mes yeux, mes trîtes yeux, autheurs de mon mar- tyre,
Te dirent un adieu que je n’osois te dire,
Et l’interêt du sang me sit dans ma douleur
Pleurer toute la nuit la perte de mon cœur.
De ce que je croyois me devoir à moy-même,
Je passois aux devoirs de mon amour extréme,
Et les feux du Dragon, les Soldats, les Taureaux,
Sembloient avant ta mort m’ouvrir mille tom- beaux.
Mon amour me donnoit une sensible atteinte;
De ce charme secret je passois à la crainte;
Mais lors que je voulois faire un second retour
La crainte alloit enfin du côté de l’amour.
Le Soleil commençoit d’épandre sa lumiere
Quand ma soeur me rendit sa visite ordinaire;
Elle parut surprise, & son cœur fut touché
De voir contre mon lit mon visage attaché;
Mes cheveux negligez flottoient sans artifice,
Et dans de vains efforts à me rendre justice,
De ton crime en secret accusant les Destins
Mes pleurs portoient mes feux sur les objets voisins.
Ma Sœur pour ton secours implora l’assistance
Dont une autre a le fruit par ton peu de constance,
Et ma Sœur que j’aimois m’enleva par raison
Ce que par mon amour je donnois à Jason.
On voit prés le Palais du mal-heureux Aëte.
Un bois le silence à choisi sa retraite,
C 3Et5454EPISTRES D’OVIDE,
Et son ombre invincible à toutes les saisons
Repousse du Soleil les timides rayons;
Dans ce bois écarté Diane est adorée,
Et l’on voit que dans son Temple une Image dorée,
dans les traits divers, tant l’or est bien perdu,
L’art avec la Nature y paroit confondu.
Je ne sçay si le temps s’en est rendu le Maître
Mais ce fut dans ce lieu que tu te fis connoître,
Et qu’avec un visage aussi beau que menteur,
Tu me tins ce discours aussi doux que flatteur.
Sous vos divins appas la Fortune asservie
Vous a faite aujord’huy l’arbitre de ma vie,
Et par un peu de haine, ou par un peu d’amour,
Vous pouvez ou m’ôter, ou me rendre le jour.
Si vous pouvez me perdre avec tant de puissance,
Vous pouvez me sauver avec plus de clemence,
Et toûjours plus de gloire, aprés un tel malheur,
Suit l’excez de bonté que l’excez de rigueur.
J’ose donc vous prier par toutes les tempêtes
Que seule vous pouvez détourner de nos têtes,
Par vôtre sang formé du plus pur sang des Dieux,
Par le Pere d’Aëte & vos autres Ayeux,
Par les trois noms divers, par tout ce que Diane
Dans ses Temples sacrez dérobe à l’œil prophane
Par le grand Papeüs, par la fille des flots,
Et par les autres Dieux qu’on adore à Colchos.
J’ose donc vous prier de rendre à nos Provinces
Et les fils de nos Dieux, & les fils de nos Princes,
Et si j’ose pour moy ce que je dis pour tous
Conservez un Amant qui veut vivre pour vous.
Si Medée en Jason trouvoit dequoy luy plaire,
Ce souhait, je l’avouë, est un peu temeraire,
Et j’ay peu de sujet d’esperer que les Dieux
Veüillent rendre aujourd’huy le temeraire heureux.
Si vous me refusez, je vay mourir, MADAME,
Mais si ce que j’adore est sensible à ma flâme,
Que55MEDE'E A JASON.55
Que tout le Ciel conspire à me priver du jour
Si jamais d’autres feux éteignent mon amour.
J’en jure par Diane en ce Temple adorée,
J’en jure par les droits de l’union sacrée.
J’en jure par Junon qui fait un nœud si beau,
Et d’Hymen tous les jours allume le flambeau.
Ces sermens, ces soupirs, & cette voix char- mante
Acheverent de vaincre une vertu mourante,
Et l’esprit d’une fille avoit peu de secours
Et contre tes appas, & contre tes discours.
Et me prenant la main tu répandois des larmes,
Falloit-il ajoûter quelque chose à tes charmes,
Et mon ſexe attaqué par le don de ta foy,
Pouvoit-il me fournir des armes contre toy?
Lors que je t’eus donné l’art de vaincre sans peine,
Tu soûmis les Taureaux sans craindre leur ha- leine,
Et tout prêt de passer à de nouveaux hazards,
Tu leur fis labourer le triste Champ de Mars.
les dents du Serpent dont tu semois la terre
Poussoient les premiers feux d’une cruelle guer- re,
Et formoient des Soldats tous prêts dans leur courroux
De te donner la mort & d’éviter tes coups.
Moy qui t’avois fourny dequoy parer l’atteinte,
A ce spectacle affreux je pâlissois de crainte,
Jusqu’a l’heureux moment que leurs bras éton- nez
Se porterent les coups qu’ils t’avoient destinez
Lors on voit le Dragon se lever de sa place,
Luy-même il s’inspiroit une nouvelle audace,
Il portoit en sifflant, & du poids de son corps
Il étonnoit la terre en ses pressans efforts.
C 45656EPISTRES D'OVIDE,
pouvoit être alors cette Royale épouse
Dont je ne voyois pas sujet d’être jalouſe?
pouvoit être alors ce grand titre de Roy
Qu’on te donne à Corinthe aux dépens de ta foy?
C’est moy qui ne suis plus qu’une Scythe ennemie,
C’est moy qui me trahis pour assurer ta vie,
Et c’est moy dont le crime enfin t’ouvre les yeux
Quand tu te connois mal à me connoître mieux.
C’est moy qui t’ay donné la divine puissance
De rompre du Dragon toute la vigilance:
C’est moy qui t’ay sauvé, c’est à moy que tu dois
Une fois la Toison, & Jason quatre fois.
J’ay quitté mes Etàts, & j’ay trahy mon pere,
J’ay choisi sans regret un exil volontaire,
Et je vois cet exil pour toy recompenſé
Du larcin de ta flâme & d’un exil forcé.
J’ay pour un étranger oublié l’innocence
Que je devois au sexe autant qu’à ma naissan- ce;
J’ay quitté pour te suivre & ma mere & ma soeur,
Rends-moy ce que je perds, ou laisse-moy ton cœur.
Je ne t’oubliay pas dans ce triste voyage,
Cher frere, je ne puis en dire davantage,
Et mon crime à tel point redouble mes ennuis
Que je n’ose l’écrire après l’avoir commis;
Tu mourus innocent, & je vis criminelle,
Lors les Dieux impuissans trahirent ta querelle,
Et pour ſauver ta vie ou pour vanger ta mort,
Le Ciel contre Medée eût du faire un effort.
Pour te quitter, Jason, j’avois trop de tendres- se,
Lors qu’on a tant osé, craindre est une foiblesse,
Et ce grand coup d’essay que je fis à tes yeux
Me servit à braver la fortune & les Dieux.
Que57MEDE'E A JASON,57
Que faisoient-ils ces Dieux, que faisoit la For- tune,
Devions nous échapper au Trident de Neptune?
Et pour ne pas perir êtions-nous
*Later addition made in ink
* innocens,
Ou les Dieux contre nous étoient-ils impuis- sans?
Plût au Ciel qu’un rocher voisin des Cyanées
Eût par un prompt débris siny nos destinées,
Et qu’un même trépas apres de tels malheurs
Eût uny nos deux corps au deffaut de nos cœurs,
Scylle affreux precipice, en ce triste voyage
Vous m’avez mal servy de m’ouvrir un passage,
Vous pouviez m’épargner des regrets superflus,
Et vous m’eussiez laissé ce que j’aimois le plus.
Tu triomphes ingrat, de ma propre conquête,
Tu reviens chez les Grecs les Lauriers sur la tête,
Et dans la Thessalie on fait de la Toison
Un insolent trophée aux crimes de Jason,
Joins, joins à mes bontez les mal-heurs de Pelie,
Ses filles l’aimoient trop pour luy laisser la vie,
Et l’amour paternel qui les faisoit agir
Eût crû trahir son sang à ne pas en rougir.
Qu’à l’Univers entier je paroisse execrable,
Si j’avois moins aimée, je serois moins coupable,
Et plus le crime est grand par un excez d’amour,
Plus à le bien payer tu me dois de retour;
Ce que j’ay fait pour toy doit-il m’être funeste;
Mes soupirs, cher ingrat, te diront mieux le reste;
Je ne puis m’expliquer, tu me dois tout Jason,
Et tu peux m’ordonner de quitter ta maison.
Traître, si je la quitte choisir ma retraite?
Puis-je regner encore, vivray-je en sujette?
Iray je dans Colchos pour reprendre mon rang,
Moy qui l’ay fait rougir du plus beau de son sang,
C 5Iray je5858EPISTRES D’OVIDE,
Iray-je en Thessalie, l’horreur de mon crime
Demande au nouveau Roy ma tête pour victi- me?
Iray je dans Lemnos m’exposer au courroux
Du pouvoir souverain & d’un amour jaloux?
J’ay pourtant obeï, j’ay pris pour compagnie
Les fruits infortunez d’une foy desunie?
Mais ce qui me fait vivre & la nuit & le jour,
Quand tu me fois mourir, perfide, c’est l’amour.
J’ay fait de vains efforts à te voler mon ame,
Que dis-je? je trahis l’interêt de ma flâme,
Non, mon foible courroux dans toute ma dou- leur
N’a fait que des souhaits de regagner ton cœur.
Juge si ma douleur pensa m’être mortelle,
Lors que de ton Hymen on m’apprit la nouvelle,
Et si de cet Hymen le mal-heureux flambeau
N’eût pas du m’éclairer à descendre au tombeau.
Je me trouvay sans forces au chant de l’Hyme- née,
Chant cent fois plus funeste à mon ame étonnée
Que celuy dont le Cygne a soin de se pleurer,
Lors que sur le Meandre il est prêt d’expirer.
Quoy que ton crime en moy trouvât peu de croyance,
Je n’osois me flatter de toute ta constance;
L’amour a des soupçons autant qu’il a d’appas.
Et l’on craint fort souvent ce qu’on ne croiroit pas.
Corinthe pousse au Ciel de grands cris d’alle- gresse,
Sa joye en cét état redouble ma tristesse,
Et plus ton mariage allume de plaisirs,
Plus ce dernier malheur anime mes soupirs.
Entre tous tes Sujets mes plus chers domestiques
Ne prenoient point de part à ces fêtes publiques,
Ils59MEDE’E A JASON.59
Ils cachoient leur douleur, & dans leur entretien
Ils n’osoient m’expliquer ce que je sçavois bien;
Oüy je sçavois trop bien ce triste mariage,
Que j’aurois oublié si j’eusse été plus sage.
Mes feux pour l’ignorer en étoient trop blessez,
Et jamais rien n’échappe aux yeux interessez.
Lors un de nos enfans qu’une ardeur de jeunesse
Avoit fait pour te voir avancer dans la presse,
Croyant qu’avec plaisir je verrois ton bonheur
Me vint innocemment redoubler ma douleur.
Je me frappay le sein, je déchiray ma robe,
Faut-il que je l’adore & qu’on me le dérobe!
Dis-je, que sa Creüse en ce mal-heureux jour,
Ait triomphé de moy, de Mars, & de l’Amour.
Je voulois par mes cris troubler toute la fête
T’ôter ces belles fleurs qui couronnoient ta tête;
Et j’eus peine à calmer un mouvement jaloux
Qui sans cesse à ma voix demandoient mon époux.
Peuple que je trahis quand je trahis mon pere,
Je dois un sacrifice aux manes de mon frere,
Il étoit vôtre Prince, il étoit de mon rang,
Et son sang épanché me demande du sang.
Il est assez vengé par le peu de constance
D’un époux dont l’amour fit toute mon offen- ce,
D’un Epoux que j’aimois avant nos differens,
Et plus que mes sujets, & plus que mes parens.
Tu me quites, Jason, & quand j’ay par mes char- mes
Triomphé des Taureaux, de Mars & des Gen- d’armes,
Mon Art qui fait trembler les Cieux & les Enfers
N’a garder un cœur que j’avois mis aux fers.
L’amour ne peut souffrir que le charme le flate,
Il ne veut rien devoir aux mysteres d’Hecate
C 6Il6060EPISTRES D’OVIDE
Il a presque toûjours ses interêts à part,
Et seul de tous les Dieux il échappe à mon Art.
Le jour me semble obscur, & n’a plus rien que j’aime.
La nuit je ne sçaurois me donner à moy même
Ce repos que mon charme inspiroit au Dragon,
Et je suis sans pouvoir si je ne sers Jason.
Quoy! je l’auray sauvé pour enrichir Creüse;
Pour la voir triompher d’un cœur qu’on me re- fuse,
Et quand j’ay tout quitté pour suivre mon Epoux,
Creüse vous voulez qu’il me quitte pour vous.
Peut-être tirez-vous de cet Amour volage
Avec la trahison le mépris & l’outrage.
Peut-être qu’il vous dit qu’il eut besoin de moy,
Lors que dans mes Etâts il me donna sa foy.
Peut-être qu’il vous dit, que je ne suis pas belle,
Qu’il n’a jamais brûlé pour une criminelle,
Que seule il vous adore, & qu’il se plaint des Dieux
D’avoir jusqu’icy vous dérober ses vœux.
Riez entre ses bras de cette perfidie,
Je sçauray vous punir quand j’en auray l’envie,
Et si de mon Jason le cœur est arrêté,
Des feux vous l’ôteront comme ils me l’ont ôté;
Tant qu’il est du poison dans toute la Nature,
Il en est pour vanger ce qu’on me fait d’in- jure,
Il en est pour aider à mon ressentiment,
Mais il en est sur tout pour me rendre un Amant.
Jason à te prier j’abaisse mon courage,
De mon sexe pour toy je trahis l’avantage,
Et loin de te traiter d’un air imperieux,
Je me jette à tes pieds, Jason si tu le veux.
Medée est toute prête à te rendre son ame,
Ecoute la nature aussi bien que ma flâme,
Ecoute61MEDE’E A JASON.61
Ecoute ces enfans que tu vais exposer
A tout ce que Creüse est capable d’oser.
Ils ont tant de rapport aux traits de ton visage,
Qu’on les prendoit pour toy, s’ils étoient de même âge.
Helas! qu’en les baisant j’ay répandu de pleurs
Et que ce souvenir m’a coûté de douleurs!
Je te prie à mon tour par les Dieux de la Grece,
Par ce qui m’a resté de ton peu de trendresse,
Par le grand Papeüs, & par le Dieu du jour,
Ou donne moy la mort, ou rends moy ton amour.
J’ay tout quitté pour toy, j’ay trahy ma naissance,
Pour moy fais à ton ame un peu de violence,
Pour toy j’ay méprisé l’Empire de Colchos,
Perds celuy de Corinthe, & nous sommes egaux.
Je ne demande point que contre des Gens-d’armes,
Ou contre des Taureaux tu me donnes des char- mes,
Je ne demande points des effets de valeur,
Je ne veux point ton sang, je ne veux que ton cœur,
Je ne veux que Jason qui me fuit & que j’aime,
J’ay crù me devoir moins qu’à mon amour ex- tréme,
Quelqu’autre à plus haut prix auroit mis la Toison.
Et tu dois à Medée un peu plus qu’à Jason;
Demandes-tu ma dot, traître, tu l’as reçeuë;
Au milieu des hazards dont tu craignois l’issuë:
Ma dot est ton salut, ma dot est ton retour,
Ma dot est la Toison, ma dot est mon amour:
Ma dot sont tous tes Grecs, ma dot sont tous ces Princes
Que mon Art a rendus à leurs cheres Provinces:
Consulte un peu l’objet dont ton cœur est épris,
Et vends-luy si tu peux ton amour à ce prix.
Tu me dois tes Etâts & ta nouvelle épouse,
Tu me dois le pouvoir de me rendre jalouse,
C 7Tu6262EPISTRES D’OVIDE,
Tu me dois tous tes jours, tu me dois tous tes biens,
Tu me dois en un mot tes crimes & les miens,
Ah! j’en auray raison. Mais que sert la menace?
Le châtiment prevû tient presque lieu de grace;
La colere éloquente est d’un foible secours,
Et jamais un grand feu ne s’explique en discours.
Il faut à mon courroux de plus hautes maximes,
Pour punir un ingrat j’iray jusques aux crimes,
Et je me serviray des forfaits de Colchos
A surmonter l’horreur d’en faire de nouveaux;
J’auray quelques remords peut être aprés la chose,
Jason, de mon courroux tu sçais assez la cause,
Mais tu ne devois pas en apprendre l’effet,
Qu’un succez plus heureux n’eût remply mon souhait.
Le Dieu qui me l’inspire en aidera la chûte;
Pour t’avoir trop aimé je suis à tous en butte:
Mais puisque mon amour fait mes abaissemens;
Je sçauray m’élever à d’autres sentimens.
Je t’ay bien conservé. Par la même puissance
Je pourray travailler à ma juste vengeance,
Et je me trouveray dans l’état plein d’appas
De refuser ton cœur quand tu me l’offiras.
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DI -

About this transcription

TextMede'e a Jason : a digital edition
AuthorBarrin, Jean, approximately 1640-1718; Ovid, 43 B.C.-17 A.D. or 18 A.D..
Extent pages 50-62
ResponsibilityEdited by Chloe Bolsover.
EditionTaylor edition
SeriesTaylor Editions: Treasures
Additional notes

Transcribed from: Taylor Institution Libraryshelfmark VET.FR.I.A.112. Images scanned from Taylor Institution Library shelfmark VET.FR.I.A.112.

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About the source text

Bibliographic information Mede'e a Jason. Les epistres et toutes les elegies amoureuses d'Ovide: traduites en vers françois. Barrin, Jean, approximately 1640-1718; Ovid, 43 B.C.-17 A.D. or 18 A.D.. Chez Abraham de Hontd, marchand libraire sur la grand' Sale du Palais, à la Renommée, A La Haye : M.DC.XCII. [1692].
Languagefra

Editorial statement

About the encoding

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Editorial principles

The transcribed text of Mede'e a Jason is a semi-diplomatic version as I intended the digitized version to be as close to the original as possible. There have been few editorial changes. Therefore, spelling, punctuation and grammar remain as they were written. Special characters and symbols such as the Latin long S were unable to be reproduced. When checking the digitised document in a PDF format, I noticed that these characters were not recognised and appeared as a hash. Therefore, I decided to change these characters to a standard S. Surrounding text such as quiremarks, catchwords, page numbers, and running headers have all been recorded to provide a complete version of the text. The physical layout of the text has been kept largely the same. The text has been entirely transcribed by myself and so all errors are mine own.

Publication information

Publisher
  • Taylor Institution Library, one of the Bodleian Libraries of the University of Oxford,
Imprint 2020.
Identifiers
  • SOLO 013019481
  • ORA
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