PRIMS Full-text transcription (HTML)

DIALOGVE ENTRE VN PERE, ET SON FILS.

M.DC.LVIII.

A LONDRES, Par Daniel du Chemin, demeurant dans York Street, proche du Covent Gardin. 1688.

AV LECTEVR.

LEcteur quiconque tu ſois, qui par rencontre ou par curioſité porteras la veuë ſur ce Dialogue, entre vn Pere & ſon Enfant, Ie te prie de conſiderer, que tout ainſi qu'vne terre rude & mal façonnée ne peut produire que peu ou point de fruit, vn homme quin'a pas eſté formé par l'eſtude, ny poly par la conuerſation des hommes doctes, ne peut eſtre capable que de fort peu de choſe, & encore ce peu à quoy il s'applique porte les marques de ſa foibleſſe: Et cette conſideration te fera ſans doute juger que la lecture de cet ouurage, ne peut pas te don­ner aucune ſatisfaction, & par ma­niere de dire ne te peut apprendre qu'à begayer: Neantmoins ſi ta cu­rioſité l'emporte, & que tu vueilles ſçauoir quel a eſté noſtre entretien, tu trouueras que nous auons parlé de choſes hautes & ſaintes; ſçauoir de la Connoiſſance de Dieu, & de nous meſmes, de la grace qu'il nous a faite en donnant ſon Fils, ſon bien-aimé, & des moyens dont il s'eſt ſeruy pour nous attirer à ſa Communion, & à la participation de ſes graces: Et com­me la Parole de Dieu a eſté noſtre guide, nous nous ſommes entretenus de ſon excellence; A pres nous auons parlé de l'Egliſe Reformée, & de ſes Sacremens. De l'Egliſe Romaine, & & du danger qu'il y a de demeurer en ſa Communion; Et je m'aſſeure que tu ne ſeras pas marry d'auoir ſurmonté les difficultez que ton eſprit t'auoit ſuggeré. Au commencement tu trou­ueras ſans doute des rudeſſes en no­ſtre langage; Mais je te prie d'imiter la debonnaireté de Moyſe qui rece­uoit le poil de chevre de la main des pauures pour ſeruir à la conſtruction de l'ancien Tabernacle; Auſſi bien que les belles eſtoffes, & les riches preſens des oppulens; Que ſi tu es ſi dégouté que tu ne trouues choſe au­cune, qui puiſſe te contenter, je ne m'en eſtonneray pas; puis que mon propre fils s'en eſt ſi fort dégouté, que m'épriſant mes inſtructions, il m'a abandonné, s'eſtant precipité dans l'abyſme des erreurs de l'Egliſe Ro­maine, & c'eſtoit ce que je voulois éuiter, apres il s'eſt jette ſur moy, & pendant cinq ans, il m'a grandement troublé: Mais ayant reconu que ſelon le monde meſme il ne luy eſtoit pas fort auantageux de perſecuter ſon pere & ſa mere comme il a fait, il s'eſt reconcilié auec moy, & nous auons paſſé quelques années ſans trouble & ſans procez: Mais pourtant je n'ay jamais le diſpoſer de ſe reconcilier auec Dieu, & de reuenir en ſa ber­gerie: Ce qui m'a fait croire, que mon Dialogue ne pouuant à preſent luy eſtre agreable ny profitable: Et à cau­ſe de cela j'auois reſolu de le garder pour ſes ſoeurs. Que ſi contre mon attente il eſt expoſé en veuë, j'ay creu, Lecteur judicieux, qu'il eſtoit conue­nable de te donner cet auertiſſement, afin que tu le mettes en telle conſide­ration que tu jugeras eſtre à propos.

MES FILLES,

Ʋous ſçauez auec quel ſoin je me ſuis étudié d'éleuer voſtre frere en la connoiſſance de Dieu, & de ſoy­meſme; vous auez veu pendant quelques années, que je paſſois auec luy les matinées, partie des apres diſnées, & les ſoirées entieres: Mon but eſtoit de former ſon eſprit, afin qu'il fuſt plus capable, lors qu'il commenceroit de voir le monde, de fuïr les débauches, & de reſiſter aux atteintes qu'on pourroit luy donner pour la Religion. A cet effet, & pour d'autant plus engrauer en ſon eſprit les choſes que je luy auois en­ſeignées de viue voix, je les auois redigées par eſcrit en forme de Dia­logue; & pour l'obliger de le lire, je luy auois dedié par vne Epiſtre par­ticuliere, par laquelle je l'exhor­tois auec toutes les tendreſſes qu'vn pere peur auoir pour vn fils bien­aimé d'en faire ſon profit: Mais il eſt arriué que ce miſerable vio­lant les Loix diuines & humaines s'eſt reuolté contre Dieu, a foulé aux pieds les inſtructions que je luy auois données, s'eſt rendu vn per­ſecuteur violant, a incité les puiſ­ſances ſuperieures contre nous, & a fait tous ſes efforts pour vous en­traiſner en vne meſme ruïne. Mais Dieu qui eſt le Protecteur des af­fligez, vous a ſoûtenu par ſa Puiſ­ſance diuine, vous a donné vne ferme foy, par laquelle vous auez repouſſé les traits enflammez de cet eſprit malin, & en ſuitte vous a donné des maris fidelles & Chre­ſtiens qui ſont & ſeront vos appuys & conducteurs, dequoy je luy rends graces tres-humbles, & le ſupplie de tout mon coeur, qu'il luy plaiſe vous confirmer de plus en plus, & vous faire la grace de perſeuerer conſtamment auec Meſsieurs vos maris en la profeſsion de ſa veri­, & d'y éleuer auec ſoin & di­ligence vos enfans, prians conti­nuellement pour eux, et les forti­fians par bons exemples. Et d'au­tant que ce Dialogue contient plu­ſieurs inſtructions qui pourront vous ſeruir à cela; j'ay crû que puis que voſtre frere s'eſt rendu indigne de le poſſeder, je deuois vous le ­dier, et vous en faire vn preſent: Ie vous le donne donc, & vous ſup­plie de le lire ſoigneuſement, de le garder, & qui plus eſt de le laiſſer à vos enfans. Si mon pere m'euſt laiſſé quelque choſe de ſemblable, je l'euſſe chery & conſerué: Mais comme il eſt decedé en la fleur de ſon aage, que j'eſtois vn jeune en­fant, & que d'ailleurs j'ay paſſé par diuerſes mains, j'ay eſté pri­ de ce bien: Car je ne doute nul­lement que m'aymant, comme il m'aymoit, il n'ait laiſſé par eſcrit les preceptes qui m'eſtoient neceſſai­res, pour m'apprendre à bien viure. I'ay pourtant conſerué les inſtru­ctions qu'il m'auoit données de viue voix ſur le ſujet de la Religion, & par la grace de Dieu j'en ay toû­jours fait profeſsion ouuerte, non-obſtant les troubles & empeſche­mens qui m'ont eſté donnez par les ennemis de mon ſalut; Et finalement je vous ay mis en main ce precieux treſor & bon depoſt: De voſtre part vous l'auez receu agreablement, & vous en faites profeſsion ouuerte, dequoy je rends graces à Dieu. Jl y auoit apparence de croire que vo­ſtre frere en vſeroit de meſme, par­ce que j'auois pris grand ſoin de l'inſtruire: Neantmoins ce miſera­ble renonçant aux auantages que cette profeſsion luy euſt apportez, s'il euſt perſeueré, s'eſt reuolté con­tre Dieu: Et combien qu'il ſçeuſt que l'Egliſe en laquelle il auoit eſté nourry & éleué eſt la ſeule Arche dans laquelle il pouuoit eſtre con­ſerué & garenty du deluge de l'ire de Dieu, il s'eſt precipité, & à pre­ſent il court apres les inuentions hu­maines, apres les Dieux de paſte, de bois & de pierre, que la ſuper­ſtition a eſtablis; Et pour faire croi­re qu'il eſt bon Catholique Romain, il fait la guerre à Ieſus Chriſt, à ſa doctrine, & à ſes membres; ju­gez ce qu'il doit attendre, & quel­le ſera ſa fin s'il perſiſte. On me dit que je dois eſperer que Dieu le ramenera, & ſuſpendre mon juge­ment, je reſpons que je ne ſouhait­te rien tant: Mais lors que je con­ſidere qu'il s'eſt precipité de gayeté de coeur ſans ſujet & ſans raiſon, qu'il foule aux pieds les mouuemens du Saint Esprit, & la bonne ſe­mence qu'il auoit receuë, que plus il va, plus opiniaſtre il deuient: Ie ne puis que je ne diſe auec le Prophete au Pſeaume 139. Eternel, n'auroy-je pas en haine ceux qui te haïſſent, & ne ſerois-je pas despité contre ceux qui s'éleuent contre toy? La parenté charnelle eſt de peu d'im­portance, ſi le lien de l'eſprit ne s'y trouue; je ne laiſſe pas pourtant de prier Dieu qu'il luy faſſe miſericor­de, qu'il le déliure de l'eſprit d'er­reur & de menſonge qui le poſſe­de, & qu'il le rameine en ſa Ber­gerie, mais c'eſt choſe plus à deſi­rer qu'à eſperer. Quant à vous, mes Filles, qui aymez Dieu, & qui perſeuerez auec moy en la pro­feſsion de ſa verité; Ie vous prie au nom de Dieu de reconnoiſtre que ce n'eſt pas vn effet de vos forces naturelles, mais vn effet de ſa gra­ce. Prenez garde à l'exemple de voſtre frere, & conſiderez que c'eſt vne leçon que Dieu a eſcrite pour vous en groſſe lettre ſur le dos de voſtre prochain. Ne vous fiez donc pas en vos propres forces; mais de­mandez à Dieu pour vous & pour les voſtres le don de perſeuerance, & la grace de viure ſobrement, juſtement & religieuſement: Sou­uenez-vous que la Religion ne con­ſiſte pas ſeulement en paroles, ny en vne profeſsion exterieure; mais en la profeſsion d'vne vraye foy ou­urante par repentance et par cha­rité; Car ſi vous viuez ſelon la chair, dit l' Apoſtre Saint Paul, Rom. 8. verſ. 13. vous mourrez: mais ſi par l'Eſprit vous mortifiez les faits du corps, vous viurez. Ie prie Dieu qu'il luy plaiſe vous con­duire par ſa Parole, & par ſon Saint Esprit, vous, Meſsieurs vos marys, & vos enfans, qu'il vous faſſe la grace de viure longuement enſemble, en ſa crainte, & en ſon amour; Et lors que vous aurez paracheué voſtre courſe, qu'il re­çoiue vos ames en ſon repos, en attendant qu'il vienne juger les vi­uans & les morts, & qu'il vous introduiſe en corps & en ame en ſon Paradis; C'eſt, mes Filles, le ſou­hait & le deſir de

Voſtre Pere & meilleur Amy, BARON.
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DIALOGVE ENTRE VN PERE, & ſon Fils.

ARGVMENT.

Premiere demande faite à l'Enfant ſur la connoiſsance de ſoy-meſme, la ſuite fera voir que le Pere prend occaſion des réponſes de l'Enfant, de parler de la connoiſsance de Dieu, Pere, Fils & S. Eſprit; De traitter les poincts principaux de la Religion; De parler de la diuinité des ſaintes Eſcritures; De l'excellence de l'Egliſe Reformee & de ſes Sacremens; De la laideur de l'Egliſe Romaine, & du danger qu'il y a d'eſtre en ſa Communion.

LE PERE.

MON Fils. Comme Dieu s'eſt ſeruy de moy pour vous met­tre au monde, I'ay crû que je deuois2 auſſi vous apprendre, pourquoy eſt­ce qu'il vous y a mis; Et pour par­uenir à mon but, j'ay taſché de vous amener à la connoiſſance de Dieu & de vous meſme, & à vous apprendre ſelon ma portée, ce que Dieu eſt en ſoy, ce qu'il vous eſt, ce qu'il a fait pour vous, & ce qu'il veut que vous faſſiez pour luy eſtre agreable, parce qu'en la connoiſſance de ces choſes, & en l'obſeruation de ſes comman­demens conſiſte le bon-heur & la fe­licité de l'homme. Ie deſire donc en­tendre, ſi vous auez bien compris les inſtructions que je vous ay données ſur ce ſujet, ou pour vous y confir­mer, ou pour vous redreſſer s'il y a lieu. Commençons donc par la con­noiſſance de vous meſme, & dites moy ce que vous croyez de vous.

L'Enfant demande à Dieu ſon aſſiſtance, & 'en ſuitte reconnoit ſa pauureté naturelle par la tranſgreſsion d' Adam paruenuë ſur tous les hommes.

3LE FILS.

Mon Pere il ſeroit difficile & preſ­que impoſſible de parler comme il faut de la connoiſſance de nous meſ­mes, ſi nous n'auions appris à con­noiſtre Dieu: Mais comme vous m'auez inſtruit en l'vn & en l'autre de ces deux points, je taſcheray de vous ſatisfaire. A cét effet je prie Dieu qu'il me donne les lumieres neceſſaires, & la langue des bien appris, afin que je ne die choſe aucune, qui ne ſoit con­uenable à ſa gloire, & propre à noſtre edification.

Ie ſuis donc vn pauure petit garçon iſſu de la race corrompuë d'Adam par la generation naturelle, dénué de toute juſtice; Et comme Dauid par­lant de ſoy, diſoit au Pſeau. 51. verſ. 7. Qu'il auoit eſté formé en iniquité & échauffé en peché, je le dis auſſi de moy: De ſorte que comme le peché eſt entré au monde par la transgreſ­ſion4 d'Adam, & par le peché la mort, je ſuis naturellement ſous maledi­ction, & en la mort: car la mort eſt paruenuë ſur tous hommes, d'autant que tous ont peché en Adam. Rom. 5. verſ. 12.

Le P.

Comment cela eſt-il arriué, veu que Moyſe nous apprend que Dieu crea Adam à ſon image & ſem­blance, qu'il le benit, & que Dieu vit que tout ce qu'il auoit fait, eſtoit tres-bon, Geneſ. 1. verſ. 27. & 31.

Le F.

Le meſme Prophete nous ap­prend auſſi au chapitre ſuiuant du meſme liure, que Dieu ayant creé l'homme de la poudre de la terre, le fit en ame viuante, qu'il planta vn jar­din en Heden, qu'il y mit Adam pour le cultiuer, & qu'il luy permit de manger du fruit de tous les arbres du jardin, ſauf & excepté de l'arbre de Science de bien & de mal, duquel il luy parla en cette ſorte au verſ. 17. quant à l'arbre de Science de bien &5 de mal, tu n'en mengeras point: car dés le jour que tu en mengeras, tu mourras de mort; Comme s'il luy euſt dit, dés le moment que tu te détour­neras de mon obeïſſance, & que tu tranſgreſſeras mon commandement tu tomberas en mon indignation, & de ma colere en la mort eternelle. Et au chap. 3. il nous apprend, qu'Adam adherant à ſa femme qui auoit eſté ſeduite par le Diable ſous la forme du Serpent, tranſgreſſa le comman­dement de Dieu, mangea du fruit defendu, croyant par ce moyen par­uenir à vne plus haute connoiſſance, & ſe rendre égal à Dieu, que par ſa tranſgreſſion il attira ſur ſoy & ſur ſa poſterité, la mort corporelle & eter­nelle, & toutes les autres miſeres & calamitez, qui trauaillent l'homme pendant le cours de ſa vie, & que Dieu le chaſſa du Paradis terreſtre, & mit des Anges ſur le paſſage auec vne lame d'eſpée, ſe tournant çà & 6 pour luy en empeſcher l'entrée: de ſorte qu'au lieu de la communica­tion familiere qu'il auoit auec Dieu: Au lieu de la lumiere de l'entende­ment dont Dieu l'auoit honoré, & de la pureté en laquelle il auoit eſté creé, il s'éloigna de Dieu, & le Diable prompt & ſubtil s'empara de luy, ſe logea dans ſon coeur, luy creua l'oeil de l'entendement, l'enueloppa des tenebres d'erreur & d'ignorance, le lia des liens du peché, infecta de ce poiſon mortel toutes les parties de ſon corps & de ſon ame; En telle ſor­te que le coeur de l'homme a eſté du depuis vn repaire de Demons, & ſa malice eſt ſi grande que toute l'ima­gination des penſées de ſon coeur n'eſt autre choſe que mal en tout temps. Geneſ. 6. verſ. 5. Et partant je conclus comme en ma réponſe pre­cedente, que l'homme eſtant tel il eſt naturellement ſous malediction, & en la mort; puis que la mort a reigné7 depuis Adam; meſmes ſur les petits enfans; combien qu'ils n'ayent pe­ché à la façon de la tranſgreſſion d'Adam; parce qu'ils eſtoient en Adam, & que le peché d'Adam leur eſt imputé, comme s'ils l'auoient commis, Rom. 5. verſ. 12. & 14.

Le P.

Certes il y a dequoy s'eſton­ner de ce que noſtre premier pere, ri­che & heureux qu'il eſtoit, en ce qu'il poſſedoit celuy qui poſſede tout, s'eſt laiſſé ſeduire ſous vne ap­parence vaine & trompeuſe; Et d'au­tant plus qu'il n'ignoroit pas l'arreſt de mort que Dieu auoit prononcé contre luy en cas de rebellion.

Le F.

C'eſt vne marque infaillible du renuerſement de ſon eſprit, car s'il euſt connû l'eſtat heureux auquel il eſtoit, la felicité qu'il poſſedoit, & le malheur auquel il ſe precipitoit, il n'euſt eu garde d'écouter ſes enne­mis, ny de ſe reuolter contre ſon Createur: Mais ſi nous entrons en8 nous meſmes, nous trouuerons qu'il y a plus de ſujet de s'eſtonner de no­ſtre conduite: Car combien que nous ſoyons enuelopez ſous vne meſme ruïne, & que d'ailleurs nous enten­dions la Loy, qui foudroye vne ſe­conde condamnation à l'encontre de nous, nous ne laiſſons pas d'aller à trauers champs, comme ſi nous eſtions forcenez, de nous liguer auec le Diable pour faire la guerre à Dieu: Et ainſi deuons nous reconnoiſtre, & auouër que les enfans ont comblé la meſure de leurs peres, que nous ſom­mes plus méchans qu'eux, & en plus mauuais eſtat; puis que outre la tranſ­greſſion d'Adam, de laquelle nous ſommes coupables dés le ventre de nos meres, Eſaye 48. verſ. 8. nous ſom­mes encore ſous la malediction de la Loy par noſtre propre deſobeïſſance & par nos rebellions.

Le P.

Nous ſommes donc en vn mauuais eſtat: Mais noſtre mal eſt-il9 ſans remede?

Le F.

Ouy, du coſté des hommes; car puis que nous ſommes tous ſous malediction, & en la mort, il n'y a en nous ny vie, ny mouuement pour les choſes ſpirituelles; & par conſequent incapables de nous redreſſer: Mais Dieu qui eſt pitoyable, & miſericor­dieux, tardif à colere, abondant en gratuiré, conſola noſtre premier pe­re, & ſa poſterité par la promeſſe de la ſemence de la femme, qui deuoit briſer la teſte du Serpent, contenuë au chapitre 3. de la Geneſe verſ. 15. & nous deliurer de la tyrannie du Dia­ble, du peché, & de la mort, comme il l'a du depuis accomply.

Le Pere prend occaſion de la réponſe de l'En­fant pour l'amener à la ſeconde partie du 1er point, qui regarde la cōnoiſſance de Dieu.

Le P.

Cette doctrine concernant la redemption des hommes merite d'e­ſtre traittée plus au long, puis qu'il y10 va de la gloire de Dieu, & de noſtre ſalut, & c'eſt ce que nous ferons cy­apres, moyennant ſon aſſiſtance: Mais à preſent ſuiuons le but que nous nous ſommes propoſez. Et puis que vous auez parlé de l'eſtat de l'homme apres la creation, & de ſa cheute, venons à la ſeconde partie de noſtre premier poinct, qui eſt de la connoiſſance de Dieu. Et dites moy ce que vous croyez de Dieu?

De la connoiſſance de Dieu.

Le F.

IE crois auec tous les Chre­ſtiens, que Dieu eſt vne eſ­ſence eternelle, ſpitituelle, inuiſible & incomprehenſible diſtinguée en trois perſonnes, Pere, Fils & S. Eſprit: Le Pere ſource de la Diuinité, Crea­teur & Conſeruateur de toutes cho­ſes, viſibles & inuiſibles; Le Fils, ſa Parole, ſa Sageſſe eternelle par le­quel & pour lequel toutes choſes ont eſté creées; Le S. Eſprit procedant11 eternellement du Pere & du Fils, par lequel toutes choſes ſont conſeruées: Mais ces trois ne ſont qu'vn ſeul & meſme Dieu, tout-Puiſſant, tout-Sage, tout-Iuſte, tout-Miſericor­dieux, la Verité & la Sainteté meſme, 1. Jean chap. 5. Verſ. 7.

Objection du Pere ſur le ſujet de la connoiſſance de Dieu.

Le P.

Si Dieu eſt vne Eſſence eter­nelle, ſpirituelle, inuiſible & incom­prehenſible, comme il n'en faut nul­lement douter; Comment le pouuez vous connoiſtre, veu que vous eſtes finy, & que les Cieux des Cieux ne peuuent le comprendre, ou contenir, 2. Croniq. chap. 2. verſ. 6. &. 6. verſ. 18.

L' Enfant répond que Dieu ſe fait connoiſtre par ſes oeuures.

Le F.

Ie n'entens pas que nous puiſ­ſions comprendre ou enueloper ſous nos ſens la Majeſté infinie de Dieu, il faudroit eſtre hors du ſens pour auoir12 vne telle penſée. Mais je veux dire que Dieu eſtant comme il eſt tout-Puiſſant & tout Sage, ſe manifeſte, ſe donne à connoiſtré aux hommes par ſes oeuures; Car les choſes inuiſibles d'iceluy, à ſçauoir ſa Puiſſance eter­nelle, & ſa Diuinité ſe voyent comme à l'oeil par la creation du monde, eſtant conſiderées en ſes ouurages. Rom. 1. verſ. 20.

Autre objection ſur la connoiſſance de Dieu par ſes oeuures.

Le P.

Il ſemble pourtant que les oeuures de la creation, quoy que grandes & admirables, ne peuuent pas donner aux-hommes vne vraye connoiſſance de Dieu, telle que nous la deuons auoir pour l'aymer, l'hono­rer & ſeruir. Et de fait l'Apoſtre S. Paul nous apprend au meſme chapi­tre que vous venez d'alleguer aux quatre verſets ſuiuans, que combien que les hommes ayent connu Dieu par ſes oeuures, ils ne l'ont pas glorifié13 comme Dieu, & ne luy ont pas ren­du l'honneur, le ſeruice & l'obeïſ­ſance qui luy eſt deuë; ains ſont de­uenus vains en leurs diſcours, & leurs coeurs deſtituez d'intelligence ont eſté remplis de tenebres: ſe diſans eſtre ſages ſont deuenus fols, ont changé la gloire de Dieu incorrupti­ble à la reſſemblance & image de l'homme corruptible, & des oyſeaux, des beſtes à quatre pieds, & des repti­les; A raiſon dequoy auſſi Dieu les a liurez aux conuoitiſes de leurs coeurs: Il faut donc qu'il y ait quelque autre reuelation plus efficacieuſe.

Le F.

I'auouë que nous ne pouuons paruenir à la droite connoiſſance de de Dieu par les oeuures de la creation ſeulement: A cauſe de l'ignorance en laquelle nous ſommes tombez par la reuolte de noſtre premier Père. C'eſt pourquoy Dieu auſſi s'eſt mani­feſté aux Peres qui ont veſcu ſous la Loy de nature par diuerſes reuela­tions,14 & apparitions; Et du depuis il a ajouſté ſa Parole, par laquelle il nous fait connoiſtre, non ſeulement ce qu'il eſt en ſoy; mais auſſi ce qu'il nous eſt, ce qu'il a fait pour nous, & ce qu'il veut que nous faſſions pour luy eſtre agreables. Or cette Parole nous eſt abſolument neceſſaire pour nous amener à la droite connoiſſance de Dieu. Et de fait le Prophete Roy l'a bien jugé ainſi; Car apres nous auoir propoſé le liure de la nature au Pſeaume dix-neuf, & particuliere­ment les Cieux qui racontent la gloi­re de Dieu, l'ordre continuel des jours & des nuits qui preſchent ſa Majeſté, nous amene à la Parole de Dieu qu'il compare à vne lumiere, à vn guide: Et de vray la Parole de Dieu eſt vne lumiere qui nous conduit en noſtre pelerinage terrien. Ta Parole dit le Prophete au Pſeau. 119. verſ. 5. ſert de lampe à mon pié, & de lumie­re pour mon ſentier. Eſclairez donc15 par la Parole de Dieu, & conduits par le S. Eſprit, qui eſt le guide appro­priant les choſes ſpirituelles à ceux qui ſont ſpirituels, comme l'Apoſtre S. Paul nous l'apprend en ſa premiere aux Corinth. chap. 2. verſ. 13. les oeu­ures de la creation nous ſeruent pour nous amener à la connoiſſance de cét excellent ouurier, & nous font voir comme à l'oeil ſa Puiſſance eter­nelle, ſa Diuinité, ſa Sageſſe admira­ble, & ſa Bonté infinie.

Le P.

Puis que les oeuures de la crea­tion ne ſont pas ſuffiſantes pour nous amener à la droite connoiſſance de Dieu, & que ſa Parole nous eſt neceſ­ſaire; Voyons ce qu'elle nous enſei­gne de Dieu?

De la connoiſſance de Dieu par les liures de Moyſe.

Le F.

HElas! Comment pourray­je ſatisfaire à voſtre de­mande, & parler conuenablement de16 cette Majeſté infinie, moy qui ſuis vn pauure ignorant: Neantmoins puis que nous auons ſa Parole qui nous guide, je taſcheray de vous ſatisfaire: pour cét effet je ſuiuray ce flambeau pas à pas; Et je prie Dieu encor en cét endroit qu'il luy plaiſe me conduire en cette narration par ſon S. Eſprit. Moyſe ce grand & excellent Prophe­te, qui nous a deſcrit la naiſſance du monde, l'origine du Ciel & de la Terre, de la Mer & de toutes les cho­ſes qui y ſont, nous parle auſſi du Createur d'iceux, il le nomme Eter­nel Dieu, Geneſ. 2. verſ. 4.5. & ſui­uans. Et Dieu meſme parlant à Moy­ſe, qui luy auoit demandé ſon nom, luy dit au 3. de l'Exode verſ. 14. Ie ſuis celuy qui Suis, & tu diras aux enfans d'Iſraël, celuy qui s'appelle je Suis, m'a enuoyé vers vous. Et au verſet ſuiuant il expoſe luy meſme ſon nom en cette ſorte, tu diras ainſi aux en­fans d'Iſraël, l'Eternel, le Dieu de vos17 Peres, le Dieu d'Abraham, le Dieu d'Iſaac & le Dieu de Iacob m'a en­uoyé vers vous; C'eſt icy mon nom eternellement: Et Moyſe parlant à luy en ſon Cantique, qui eſt le Pſeau­me 90. luy diſoit, deuant que les montagnes fuſſent nées, & que tu euſſes formé la terre habitable, tu es le Dieu fort, meſme d'eternité juſ­ques en eternité: Et au premier cha­pitre de la Geneſe il nous apprend, mais confuſement, qu'en cette eſ­ſence eternelle il y a trois perſonnes, Sçauoir le Pere, la Parole & le ſaint Eſprit: Car au premier verſet il dit, Que Dieu crea au commencement le Ciel & la Terre; Au ſecond, que la terre eſtoit ſans forme & vuide, que les tenebres eſtoient ſur le deſſus de l'abyſme, & que l'Eſprit de Dieu ſe mouuoit au deſſus des eaux, Et au troiſiéme que Dieu dit, que la lumie­re fuſt; & ainſi aux verſets ſuiuans juſ­qu'au vingt-ſixiéme, diſtinguant par18 cét ordre les trois perſonnes de la ſainte Trinité, & nous repreſentant le Pere auteur & Createur de toutes choſes, le Fils qui eſt la Parole, la Sa­geſſe eternelle de Dieu, par lequel toutes choſes ont eſté creées; & le ſaint Eſprit qui ſe mouuoit ſur les eaux, comme pour les eſchauf­fer & faire eſclorre cette maſſe con­fuſe, afin d'en tirer ces belles & ex­cellentes creatures que nous voyons de nos yeux, & touchons de nos mains.

Apres auoir parlé de la creation du Ciel & de la Terre, & de toutes les choſes qui y ſont; Moyſe vient à la creation de l'homme, laquelle il ­crit d'vne façon bien difference; Car lors qu'il parle de la creation des au­tres choſes il dit, que Dieu dit que telle choſe ſoit, & elle fut; Mais lors qu'il vient à la creation de l'homme; Il introduit Dieu comme faiſant vne maniere de conſultation auec les au­tres19 perſonnes de la ſainte Trinité, pour nous apprendre que l'homme eſt la plus excellente creature qui ait eſté faite & creée, l'abregé & le ra­courcy de l'vniuers; faiſons l'homme, dit Dieu au vingt-ſixiéme verſet du meſme chapitre, à noſtre Image, ſe­lon noſtre reſſemblance, & qu'il ait ſeigneurie ſur les poiſſons de la mer, & ſur les oyſeaux des Cieux, & ſur le beſtail, & ſur toute la terre, & ſur tout reptile ſe mouuant ſur la terre. Et aux verſets ſuiuans il ajouſte, que Dieu crea l'homme à ſon image, qu'il le crea à l'image de Dieu, maſſe & femelle, qu'il les benit & leur donna ſeigneurie ſur toutes choſes, comme il auoit propoſé au verſet precedent.

Au chapitre ſecond le Prophete nous apprend que Dieu planta vn jar­din en Heden, qu'il y fit germer tout arbre deſirable à voir & bon à man­ger, & particulierement l'arbre de Vie, figure de noſtre Seigneur Ieſus20 Chriſt, pour renouueller l'homme en ſa caducité; Et l'arbre de Science de bien & de mal, figure de la Loy, qu'il y colloqua l'homme pour le cultiuer & pour le garder, qu'il luy permit de manger du fruit de tous les arbres du jardin, fors & excepté de l'arbre de Science de bien & de mal; duquel il luy defendit l'vſage ſur peine de mort, comme j'ay dit cy deuant: & au chapitre trois, il recite la cheute pitoyable d'Adam à la perſuaſion de ſa femme, qui auoit eſté ſeduite par le Diable ſous la forme du Serpent: & le jugement épouuentable que Dieu prononça contre tous ces criminels auec cette reſeruation en faueur de l'homme, qu'il le releueroit de ſa cheute, & qu'il le retireroit de ſa ruïne par le moyen d'vn Liberateur: Car c'eſt ce qui a eſté toûjours enten­du par la promeſſe de la ſemence de la femme contenuë au chap. 3. de la Ge­neſe verſ. 15. De ſorte que des Liures21 de Moyſe, nous pouuons recueillir que Dieu eſt vne eſſence Eternelle; Spirituelle, Inuiſible & Incompre­henſible, toute-Puiſſante, toute-Sainte, toute-Sage, toute-Iuſte, & toute-Bonne, qu'en cette Eſſence il y a trois persōnes, Pere, Fils & S. Eſprit, qui ne ſont qu'vn ſeul & meſme Dieu, comme j'ay dit cy-deuant, lequel s'eſt manifeſté & s'eſt fait connoiſtre aux hommes, tant par la creation du monde en general qu'il a tiré du neant luy donnant vn eſtre ferme & durable, que par la creation d'vn nō­bre innombrable de diuerſes creatu­res, auſquelles il a donné des proprie­tez & des vertus ſi excellentes qu'il eſt impoſſible de le comprendre, en­core moins de le reciter, les conſer­uant par la meſme puiſſance & ſageſ­ſe auec laquelle il les a creées, & en­core par la punition ſeuere qu'il fait des meſchans, & par la bonté & be­nignité dont il vſe continuellement22 & viſiblement enuers ceux qui luy ſont fideles & obeïſſans, ſuiuant la promeſſe qu'il leur en a faite en di­uers endroits de ſa Parole, & particu­lierement au chap. 34 de l' Exode verſ. 6. & 7. qui portent en termes exprez, qu'il eſt Pitoyable, Miſericordieux, tardif à colere, abondant en gratuïté & verité, gardant gratuïté en mille generations, oſtant l'iniquité, le for­fait & le peché.

Autre object on du Pere ſur le ſujet de la con­noiſſance de Dieu par les Liures de Moyſe.

Le P.

Ce que vous venez de dire eſt veritable, & doit eſtre tenu pour conſtant; Mais ſi nous n'auions d'au­tres lumieres que celles que les liures de Moyſe nous apportent, la connoiſ­ſance que nous aurions de Dieu par ſes eſcrits, nous donneroit plus de trouble que de conſolation. Car ſi d'vne part ils nous apprennent que Dieu eſt pitoyable, & miſericordieux: En meſme temps, au meſme chapitre23 & aux meſmes verſets que vous venez d'alleguer; Il ajoûte, que Dieu ne tient nullement le coulpable pour innocent, & qu'il punit ſeuerement les tranſgreſſeurs de ſes Loix, d'où s'enſuit que Dieu eſtant, comme il eſt, tout Puiſſant & tout-Iuſte, & nous pecheurs; Il faut neceſſairement que ſa Iuſtice ſoit ſatisfaite, & que la mort des pecheurs entreuienne: Car la juſtice de Dieu eſt vne volonté conſtante & eternelle de recompen­ſer les bons & punir les méchans qui luy eſt ſi naturelle, qu'elle eſt ce qu'il eſt, laquelle il ne peut par conſequent relaſcher, non plus que ceſſer d'eſtre ce qu'il eſt.

Par cette reſponſe & par la ſuiuante, l'Enfant fait voir que la doctrine Euangelique nous a apporté vne plus grande lumiere; en ce qu'elle nous apprend ce que Dieu a fait pour nous, & ce qu'il nous eſt à preſent.

Le F.

Les liures de Moyſe ne nous apprennent pas ſeulement, que Dieu24 eſt tout-Puiſſant & tout Iuſte; Mais auſſi qu'il eſt Pitoyable & Miſericor­dieux, qu'il oſte le forfait & l'iniquité, comme je viens de dire: Mais la do­ctrine Euangelique nous a apporté vne plus grande lumiere: Car elle nous fait voir, que la juſtice de Dieu a eſté pleinement ſatisfaite, que Dieu a puny l'homme, qu'il a exigé de luy vne ſatisfaction entiere, & neant­moins qu'il a exercé ſa miſericorde enuers les pauures pecheurs.

Le P.

Comment cela peut-il auoir eſté fait, veu que punir & pardonner ſont choſes contraires?

Le F.

Dieu a trouué en ſoy meſme par ſa Sageſſe infinie le moyen d'ac­corder ces contraires: Et de fait il les a accordez par des moyens admira­bles & incomprehenſibles à nos ſens: Mais il nous les a reuelez par la do­ctrine Euangelique. Car l'Euangile nous apprend que Dieu nous a tirez des abyſmes d'ombre de mort par25 l'homme qu'il auoit ordonné aupa­uant les ſiecles; Sçauoir par Ieſus Chriſt, lequel eſtant venu en chair au temps determiné par le Pere; s'eſt mis en noſtre place, s'eſt chargé de nos pechez, s'eſt exposé volontaire­ment pour nous, s'eſt offert ſoy meſ­me en ſacrifice viuant ſur la Croix pour faire l'expiation de nos pe­chez: Et Dieu le conſiderant comme noſtre pleige & garand, l'a froiſſé, l'a mis en langueur, a déployé ſur luy le coup effroyable de ſon ire, qui de­uoit tomber ſur nous: Et à nous, il nous impute ſon obeïſſance, le meri­te de ſon ſacrifice; & pour l'amour de luy nous a pardonné nos pechez: Et c'eſt en cette maniere qu'il a accordé ces contraires, puniſſant les pecheurs en la perſonne de celuy qui s'eſt fait homme pour ſauuer les hommes, toutesfois ſans participer à leur cor­ruption; & nous imputant à nous le merite de ſon ſacrifice par lequel il26 nous a acquis vne redemption eter­nelle; Et voila la lumiere que vous demandez & la ſatisfaction pour nos pechez.

Le P.

Comment ſe peut-il faire que nos pechez qui ſont grands & en grand nombre ayent eſté expiez par vn ſeul ſacrifice, & la Iuſtice de Dieu ſatisfaite, veu que pour produire vn tel effet, Dieu en auoit ordonné plu­ſieurs ſous l'Ancien Teſtament, & commandé de le reïterer, Exod. 29. verſ. 39. & 41.

De noſtre grande Sacrificature, & de l'excellence de ſon ſacrifice.

Le F.

CEla eſt tellement veritable que nous n'en deuons nul­lement douter, ſi nous ne voulons encourir le courroux de Dieu, & tomber derecher en ſon indignation. Et je m'en vais vous deduire le com­ment. Le grand Sacrificateur dont je vous parle eſt d'vne autre nature que27 ceux de l'ancienne Loy; d'autant qu'Aaron & ſes ſucceſſeurs eſtoient pris d'entre les hommes pour ſeruir au Tabernacle mondain; & leur re­preſenter par leurs ſacrifices charnels le ſacrifice ſpirituel de noſtre grand Sacrificateur: Et comme ils eſtoient pecheurs & mortels, ils eſtoient obli­gez d'offrir, premierement pour eux, & apres pour le peuple, & de reïterer leurs ſacrifices; par ce qu'ils ne pou­uoient purifier la conſcience de ceux pour leſquels ils eſtoient offerts: Car il eſt impoſſible que le ſang des tau­reaux & des boucs oſte les pechez. Mais cettuy-cy eſt le Saint des Saint, le Fils eternel de Dieu, ſeconde per­ſonne de la ſainte Trinité, noſtre Sei­gneur Ieſus Chriſt, le grand Sacrifi­cateur de la Nouuelle Alliance, qui eſt venu pour accomplir toutes les choſes qui auoient eſté predites de luy, & qui de fait les a accomplies par le ſacrifice de ſoy meſme: Car28 apres auoir eſté oinct du S. Eſprit, qui luy fut enuoyé du Ciel en forme viſi­ble d'vne Colombe, comme S. Mat­thieu nous l'apprend au chapitre ſe­cond de ſon Euangile verſ. 16. il ſe pre­ſenta pour nous chargé de nos pe­chez, s'offrit en ſacrifice viuant, & par le merité de ſon ſacrifice, qui eſt d'vn prix & d'vne valeur infinie, à cau­ſe de l'excellence de ſa perſonne, il a expié nos pechés, a fait propitiation pour les pecheurs ſuiuant la Prophe­tie de Daniel contenuë au chap. 3. de ſes Reuelations verſ. 24. a détruit le peché en ſa chair, & a mis fin à tout ce qui eſtoit figuré par le Tabernacle ancien, à tous les lauemens externes, & à tous les Sacrifices, a amené la Iu­ſtice des ſiecles, nous a reconciliez auec Dieu, & nous a deliuré de la ty­rannie de tous nos ennemis: En telle ſorte que nous n'auons plus beſoin de Sacrificateur, ny de ſacrifice, d'au­tant que par le merite du ſien il nous29 a conſacrez pour toûjours. Hebr. 10. verſ. 14. & par ſa Iuſtice nous fait ſub­ſiſter deuant la face de ſon Pere: Et de fait S. Paul parlant de ces choſes en ſa 2. aux Cor. chap. 5. verſ. 21. dit, que Dieu a fait celuy qui n'a point connû peché, eſtre peché pour nous, afin que nous fuſſions Iuſtice de Dieu en luy, paſſage admirable & tres-ex­cellent, puis qu'il comprend tout le Myſtere de noſtre Redemption.

Le P.

Ie ne doute nullement de cet­te verité: Mais comme dans le chapi­tre de l'Exode que vous venez d'alle­guer, il n'eſt fait aucune mention de noſtre Seigneur Ieſus Chriſt, ny de ſon ſacrifice, il faut de toute neceſſité qu'il y ait quelques paſſages qui nous apprennent deux choſes. L'vne que Dieu l'a appellé à la Sacrificature, & qu'il a approuué ſon Miniſtere; Et l'autre que de ſa part il a accepté vo­lontairement la charge de Sacrifica­teur, & que par ſon ſacrifice il a ſatis­fait30 la juſtice de Dieu, & nous a re­conciliez auec luy: Car ſans cela on pourroit impugner cette doctrine, & la mettre en doute: Et d'autant plus qu'Aaron & ſes ſucceſſeurs qui exer­çoiēt vne Sacrificature moins impor­tante, furent eſtablis par le comman­dement de Dieu, Exode 28. obtinrent témoignage que leur Miniſtere luy eſtoit agreable; En ce que Dieu fit deſcendte le feu du Ciel ſur leurs Sa­crifices pour les conſumer, manife­ſtant ſa gloire au peuple en leur pre­ſence. Leuitiq. 9.

L'Enfant ſatisfait, montre premierement, com­ment & par qui Ieſus Chriſt a eſtè appellé & eſtably Sacrificateur. Secondement qu'il a accepté volontairement la charge, qu'il s'en eſt dignement acquitté, & que par le ſacri­ce de ſon corps, il a fait l'expiation de nos pechez.

Le F.

Si noſtre Seigneur Ieſus Chriſt n'eſt point nommé dans les liures de Moyſe, il y eſt ſi bien deſigné, & ſon ſacrifice auſſi, qu'il eſt facile à le diſ­cerner:31 quoy qu'il en ſoit il appert par pluſieurs témoignages, que noſtre Souuerain Sacrificateur ne s'eſt point ingeré. Celuy qui luy auoit dit au Pſeau. 2. verſ. 7. C'eſt toy qui es mon Fils je t'ay aujourd'huy engendré, l'a appellé à la Sacrificature, lors qu'il luy a dit au Pſeau. 110. Le Seigneur a juré & ne s'en repentira point, Tu es Sacrificateur eternellement à la façon de Melchiſedec; Et ainſi vous voyez que c'eſt le Pere qui l'a appellé & eſtably, pour exercer la Sacrifica­ture, non à la façon d'Aaron, parce que Aaron & ſes ſucceſſeurs eſtoient pris d'entre les fils de Leuy, & par conſequent pecheurs & mortels obli­gez d'offrir premierement pour eux, & apres pour le peuple, comme je viens de dire: Mais à la façon de Mel­chiſedec, la plus illuſtre figure de Ieſus Chriſt qui ait eſté miſe en auant ſous le premier Teſtament repreſen­ d'vne façon admirable & extraor­dinaire32 en qualité de Roy, & de Sa­crificateur, non ſeulement comme vn Roy ordinaire, mais extraordinai­re; Sçauoir, Roy de Iuſtice & Roy de paix, Grand Sacrificateur, ſans pere, ſans mere, ſans genealogie, ſans commencement de vie & ſans fin de jours, & comme enuoyé de Dieu pour eſtre figure, & pour re­preſenter l'Eternité, la Sainteté de noſtre grand Sacrificateur, Iuſte, Saint, Innocent, ſans macule, ſeparé des pecheurs, & qui par conſequent n'auoit nul beſoin d'offrir pour ſoy; ains ſeulement pour nous, pour faire noſtre paix, & nous reünir auec Dieu; ce qui ſe rapporte fort bien à la Pro­phetie de Daniel contenuë au 26. verſ. du chap. 9. cy-deuant allegué, que le Chriſt ſeroit retranché, non pour ſoy, donc pour nous qui croyons en luy. De ſa part il a accepté & ac­comply la charge de Sacrificateur; Et de fait lors que le S. Eſprit l'introduit33 venant au monde, il le fait parler en cette ſorte à ſon Pere au Pſeau. 40. rapporté & interpreté par S. Paul au chap. 10. de l'Epiſtre aux Hebreux verſ. 5.6.7. & 8. Tu n'as point voulu ſacrifice, ny offrande, ny holocauſte pour le peché, & n'y as point pris plai­ſir; Mais tu m'as approprié vn corps, Me voicy, je viens pour faire, ô Dieu, ta volonté. Or la volonté de Dieu eſtoit de ſauuer les hommes pecheurs par vn homme ſans peché: pour cét effet il falloit former cét homme d'v­ne façon extraordinaire. Car comme tous les deſcendans d'Adam par la voye ordinaire ſont ſoüillez, à cau­ſe de la corruption generale qui a infecté toute la nature, ils ne pou­uoient eſtre employez à ce grand Oeuure: C'eſt pourquoy auſſi Dieu à fait & formé cét Homme de la ſub­ſtance d'vne Vierge par l'operation du S. Eſprit ſuiuant la Parole adreſſée par le miniſtere de l'Ange à la Vierge34 Marie au chapiſtre premier de l'E­uangile ſelon S. Luc Verſ. 35. Le ſaint Eſprit, dit l'Ange à la ſainte Vierge, ſuruiendra en toy, & la vertu du Sou­uerain t'enombrera, dont cela auſſi qui naiſtra de toi, ſaint, ſera appellé le Fils de Dieu. Le ſaint Eſprit eſt donc interuenu; Mais d'vne façō ſpirituelle conuenable à ſa nature Diuine, & a formé ce corps de la ſubſtance de la ſainte Vierge, apres l'auoir purifiée & ſantifiée, Et dans ce corps Dieu a logé vne ame toute ſainte qu'il a en­richie de tous les dons ſpirituels: De ſorte que cét Homme celeſte a eſté fait le Temple de la Diuinité; Car le Fils eternel de Dieu, la Sageſſe eter­nelle du Pere l'a vny à ſa nature Diui­ne, ſans aucune confuſion de ſub­ſtances; En telle ſorte que Dieu eſt demeuré Dieu, & l'homme eſt de­meuré homme: Mais par cette vnion Dieu s'eſt fait homme, & l'homme eſt deuenu Dieu: Et de fait l'Apoſtre35 S. Paul au chap. premier de l'Epiſtre aux Coloſ. Verſ. 19 dit, Que le bon plaiſir du Pere a eſté que toute pleni­tude habitaſt en luy, plenitude d'hu­manité, plenitude de Diuinité; com­me il ſ'en explique au chap. ſecond de la meſme Epiſtre verſ. 9. quand il dit, que toute plenitude de Duini a habité en luy corporellement. Or cet homme ſaint a eſté offert a Dieu par le S. Eſprit, comme vne victime tres-ſainte, & lui meſme s'eſt preſenté volontairemēt pour nous, & en noſtre nō cōme noſtre frere aiſné, pour faire l'expiation de nos pechez par le ſacri­fice de ſon Corps, qu'il a offert à Dieu ſon Pere ſur la Croix; Acauſe dequoy auſſi il a eſté dit au chap. 9 de l'Epiſtre aux Hebre. v. 14. Qu'il s'eſt offert ſoy meſme ſans aucune tache par l'Eſprit eternel. Et Dieu le conſiderant, non comme ſon Fils, ſaint & bien aymé, mais comme noſtre pleige & garand, chargé de nos pechez, l'a froiſſé, l'a36 mis en langueur ſuiuant la Prophetie d'Eſaye contenuë au 53 de ſes Reuela­tions verſ. 10 afin qu'apres auoir mis ſon ame en oblation pour le peché, il ſe viſt vne grande poſterité, vn grand nombre de r'achettez, cette belle aſ­ſemblée d'Eſſeus dont l'Egliſe eſt compoſée, Et en ce combat penible & langoureux, la Diuinité n'a jamais abandonné l'humanité; Mais la toû­jours ſoûtenuë comme il l'auoit pro­mis au Pſeau 110. verſ. 5. Le Seigneur eſt à ta dextre il froiſſera tes ennemis au jour de ſa colere; Et de fait il a rom­pu les liens de la mort, s'eſt redreſſé ſoy meſme, a ſurmonté & deffait le Diable, le peché & la mort, les a me­nez en triomphe, & c'eſt en cette ma­niere & par le ſacrifice de ſon corps, qui eſt d'vn prix & d'vne valeur infinie comme j'ay dit qu'il a fait l'expiation de nos pechez, qu'il a pleinement ſatisfait la Iuſtice de Dieu, qu'il nous a deliurez tant de la malediction de37 la Loy, d'autāt qu'il l'a portée ſur ſoy, ſuiuant le paſſage du 3. des Galates verſ. 13. que de la tyrannie du Diable, du peché & de la mort, nous a ac quis vne Redemption eternelle, & nous a reconciliez auec Dieu; Car le bon plaiſir du Pere á eſté de reconcilier par luy toutes choſes à ſoy, ayant fait la paix par le ſang de la Croix d'iceluy Coloſs. 1. verſ. 19. & 20. Et Dieu a eu ſon obeïſſāce & ſon ſacrifice ſi agrea­bles, qu'il l'a ſouuerainement exalté, l'a couronné de gloire & d'honneur, l'a éleué ſur ſon trône, l'a fait ſeoir à ſa dextre és lieux Celeſtes pardeſſus toute Principauté & puiſſance, vertu & ſeigneurie, & pardeſſus tout nom qui ſe nomme, non ſeulement en ce ſiecle, mais auſſi en celuy qui eſt à venir, a aſſujetty toutes choſes ſous ſes pieds, luy a donné toute puiſſance au Ciel & en Terre, & l'a conſtitué ou donné pour eſtre Chef de l'Egliſe Ephez. 1 verſ. 20.21. & 22: Et pour l'a­mour38 de luy nous a pardonné nos tranſgreſſions, & nous communique ſes graces, comme j'ay dit cy-deuant, & ainſi voyons-nous que le Pere a ordonné & eſtably ſon Fils bien-aimé auec ſerment pour eſtre le Sacrifica­teur de la nouuelle alliance, & que le Fils aimant & aimé, eſt interuenu volontairement entre Dieu & nous, qu'il s'eſt aneanty, qu'il a reſpādu ſon ſang ſur la Croix pour nous, qu'il nous a reconciliez à Dieu ſon Pere par le ſang de la Croix, & nous a ouuert le Paradis: De ſorte qu'au lieu que l'en­trée des lieux ſaints eſtoit interdite au peuple qui viuoit ſous la Loy, & s'ils auoient veu quelque repreſentation extraordinaire de la Majeſté de Dieu ils en eſtoient effrayez & diſoient, comme Manoach au 13. des Iuges verſ. 22. Nous mourrons, car nous auons veu Dieu: Nous au contrai­re allons auec aſſeurance au trône de ſa grace, afin de trouuer grace,39 obtenir miſericorde, & pour eſtre aidez en temps opportun. Heb 4. v 16.

Le P.

Moyſe n'auoit garde de nous parler de ces choſes; parce qu'elles eſtoiēt couuertes & enuelopées ſous les ombres & figures de la Loy: Mais quand noſtre Seigneur eſt venu en chair, il les nous a reuelées & mani­feſtées par ſes Predications, par ſes Souffrances, par ſa Reſurrection, par ſon Aſcenſion au Ciel, & par le mi­niſtere de ſes ſeruiteurs, auſquels il a pour cét effet donné l'eſprit de Sa­pience & de reuelation: Et ainſi eſtant éclairé par ce meſme Eſprit, j'auouë que Ieſus Chriſt eſt noſtre grand Sacrificateur, qu'il a eſté legi­timement eſtably, qu'il s'eſt offert volontairement pour nous, que par ſon Sacrifice il a ſatisfait la Iuſtice de ſon Pere, & que par ſa Reſurrection ſuiuie de ſon Aſcenſion au Ciel, il nous a aſſeurez de l'amour de ſon Pere, & nous a mis en main comme40 vne quittance generale de toutes nos dettes: De ſorte que nous pouuons dire auec S. Paul, que comme la mort eſt paruenuë ſur tous les hommes par la tranſgreſſion d'Adam, ſemblable­ment auſſi par l'obeïſſance tres-par­faite de noſtre Seigneur Ieſus Chriſt, tous hommes ſont viuifiez, 1. Corint. chap. 15. verſ. 21. & 22.

Diſtinction faite par l'Enfant ſur l'applica­tion du merite de la Mort & Paſſion de noſtre Seigneur Ieſus Chriſt.

Le F.

Il eſt vray que comme la Mort eſt par vn homme, auſſi la Reſurre­ction eſt par vn homme: Et que tout ainſi que tous hommes meurent en Adam, ſemblablement tous hom­mes ſont viuifiez en Ieſus Chriſt. Mais j'eſtime qu'il y a quelque diſtin­ction à faire ſur cette totalité; veu qu'il eſt euident que tous hommes ne ſont pas ſauuez, & qu'il y en a vn nombre infiny qui demeurent dans l'infidelité, leſquels par conſequent41 n'ont point de part au merite de la Mort & Paſſion de noſtre Seigneur, & ont leur portion auec les Diables. Cette totalité donc doit eſtre enten­duë & rapportée à la totalité des Eleus, qui ont eſté, qui ſont & qui ſeront appellez de tout pays & de toute langue à la connoiſſance de noſtre Seigneur Ieſus Chriſt, qui luy obeïſſent, & qui l'embraſſent pour leur Sauueur: Car c'eſt de ceux que l'Apoſtre parle en l'E­piſtre aux Epheſiens chap. 2. verſ. 5. & 6. quand il dit, que Dieu les a viui­fiez enſemble auec Chriſt, qu'il les a reſſuſcitez enſemble, & les a fait ſeoir enſemble és lieux celeſtes en Ieſus Chriſt, & pour leſquels noſtre Sei­gneur a fait cette belle & excellente priere enregiſtrée au 17. de S. Iean, en laquelle il proteſte à ſon Pere, qu'il ne le prie point pour le monde, c'eſt à dire pour les infidelles, dont je viens de parler, pour les hommes du mon­de42 qui ne croyent point en luy: Mais pour ceux qu'il luy a donnez, ils eſtoient tiens luy dit-il au verſ. 6. & tu me les a donnez, & aux verſets 7. & 8. il leur rend ce teſmoignagne qu'ils l'ont connu, & qu'ils ont crû en luy, ils ont connu que tout ce que tu m'as donné eſt de toy, car je leur ay don­ les paroles que tu m'as données, & ils les ont receuës, & ont vrayement connu que je ſuis yſſu de toy, & ont cru que tu m'as enuoyé, & au verſ. 9. Il ajouſte, je prie pour eux, je ne prie point pour le monde, lequel par conſequent eſt exclus & priué de la vie qu'il nous a meritée.

Le P.

Ie l'entens ainſi. Paſſons ou­tre, & entretenons nous ſur le ſujet de la nouuelle Alliance dont vous auez parlé en voſtre reſponſe prece­dente: Car ſans doute, le ſujet eſt ri­che & fructueux. Eſt ce l'Alliance que Dieu fit auec Noé apres le Delu­ge; car elle peut eſtre dite nouuelle43 ayant égard à celle qu'il auoit faite auec Adam dans le Paradis Terreſtre, ou bien eſt-ce celle qu'il fit auec les Iſraëlites apres qu'il les eut tirez de la captiuité d'Egypte, qui peut encor eſtre dite nouuelle au prix de celle qu'il auoit faite auec Noé.

Le F.

Non, mon pere, ce n'eſt ny l'vne ny l'autre, c'eſt vne Alliance beaucoup plus excellente, d'autant qu'elle eſt purement ſpirituelle & nous communique les biens ſpiri­tuels: Au lieu que les precedentes ne regardoient que les choſes tempo­relles; c'eſt pourquoy auſſi elles n'e­ſtoient fondées que ſur le ſang des boeufs & des boucs: Mais celle-cy eſt fōdée ſur le ſang de l'Agneau de Dieu.

Le P.

Qu'elle-eſt donc cette Allian­ce, & quels ſont les biens qu'elle nous promet?

Traitté de la nouuelle Alliance.

Le F.

L'Alliance dont je parle, eſt l'Alliance de Grace, que le44 S. Eſprit auoit predite par la bouche des Saints Prophetes, & les biens qu'elle nous promet, ſont des biens ſpirituels; Voicy comment les Pro­phetes en ont parlé. Les jours vien­nent, diſoit Ieremie au nom de l'E­ternel, que je traitteray vne Alliance nouuelle auec la maiſon d'Iſraël, & auec la maiſon de Iuda, non pas ſelon l'Alliance que je traittay auec leurs peres au jour que je les pris par la main pour les faire ſortir hors d'Egy­pte, laquelle ils ont enfrainte: Mais c'eſt icy l'Alliance que je traitteray auec la maiſon d'Iſraël; Apres ces jours-là, c'eſt à dire apres la manife­ſtation du Meſſie je mettray ma Loy au dedans d'eux, & l'eſcriray en leur coeur, & ils me ſeront peuple, & je leur ſeray Dieu, vn chacun n'enſei­gnera plus ſon prochain, ny vn cha­cun ſon frere, diſant, connoiſſez l'E­ternel: car ils me connoiſtront tous depuis le plus petit juſques au plus45 grand, d'autant que je pardonneray leurs pechez, & n'auray plus ſouue­nance de leurs iniquitez, Ieremie 31. verſ. 31.32.33. & 34. & encore je ſau­ueray mon troupeau, tellement qu'il ne ſera plus en proye; je ſuſciteray ſur mes brebis vn Paſteur qui les pai­ſtra, aſſauoir mon ſeruiteur Dauid, il les paiſtra, & luy meſme ſera leur Pa­ſteur; Mais moy l'Eternel je ſeray leur Dieu, & mon ſeruiteur Dauid ſera Prince entre icelles, & traitteray auec elles vne Alliance de paix, meſ­mes je les combleray de benedictiōs. Ezechiel 34. verſ. 22.23.24.25. & 26. Et au chap. 36. Dieu s'adreſſe luy meſ­me à ſes brebis, & leur fait vne deſ­cription ſommaire des biens qui ſui­uront ſa benediction, & qu'il vouloit leur communiquer en conſequence de cete Alliance de paix. Ie vous reti­reray d'entre les nations, & vous r'aſ­ſembleray de tout païs, leur dit-il aux verſets 24.25.26. & 27. & reſpandray46 ſur vous des eaux nettes & vous ſerez nettoyez. Ie vous netto yeray de tou­tes vos ſoüillures, & de tous vos dieux de fiente, & vous donneray vn coeur nouueau, & mettray dedans vous vn eſprit nouueau, & j'oſteray le coeur de pierre hors de voſtre chair & vous donneray vn coeur de chair, & mettray mon eſprit au dedans de vous, & feray que vous cheminerez en mes ſtatuts, & que vous garderez mes Ordonnances, & les ferez: Voila, mon Pere, l'Alliance dont je parle, & les biens qui nous ont eſté promis par icelle.

Le P.

Certes vous auez raiſon de di­re, que cette Alliance eſt plus noble, & plus excellente que les preceden­tes, puis que par icelle nous obte­nons les biens qui peuuent nous ren­dre eternellement heureux. Mais pourquoy dites-vous qu'elle eſt fon­dée ſur le ſang de noſtre Seigneur Ieſus Chriſt, & qu'il en eſt le Sacrifi­cateur?47 veu que les Prophetes qui l'ont predite, ne le propoſent pas pour Paſteur & pour Prince, & ne font aucune mention de Sacrifice, ny de Sacrificateur.

Le F.

Combien que Ieremie ny Eze­chiel ne faſſent aucune mention de ſacrifice ny de Sacrificateur, ſi eſt-ce que l'vn & l'autre doiuent eſtre ſous­entendus: d'autant qu'il s'agit du pardon des pechez, & qu'il ne ſe fait point de remiſſion des pechez ſans effuſion de ſang Hebreux 9. v. 22. Car comme Dieu eſt juſte & ſaint, il ne pouuoit pardonner les pechez que ſa Iuſtice n'euſt eſté premierement ſa­tisfaite par les raiſons que j'ay dedui­tes cy-deuant. Il falloit donc vne ſa­tisfaction precedente, & par conſe­quent vne victime. Vn Sacrificateur, Vn Moyenneur entre Dieu & les hommes pour reconcilier deux par­ties ſi contraires & eloignées d'vne diſtāce infinie par le peché de l'hom­me. 48Et d'autant que les hommes ny les Anges ne pouuoient combler cet abyſme, à cauſe que tous hommes ſont naturellement corrompus, & par conſequent ennemis de Dieu, & que les Anges quelques puiſſans qu'ils ſoient ne pouuoient produire vne ſa­tisfaction infinie, d'autant qu'ils ont eſté créez auſſi bien que nous: Ieſus Chriſt le bien aimé du Pere, par lequel & pour lequel ſōt toutes choſes, & ſur lequel s'eſt reposé l'eſprit de l'Eternel, l'eſprit de Sapience & d'intelligence, l'eſprit de cōſeil & de force, l'eſprit de Science & de la crainte de Dieu, com­me Eſaye nous l'apprend au chap. 11. de ſa Prophetie, eſt interuenu pour nous. Et cela d'autant qu'il auoit eſté ordonné du Pere pour eſtre le Media­teur de la nouuelle Alliance, le Sacri­ficateur des biens à venir Hebreux 9. verſ. 11. & 15. Ce diuin Sacrificateur donc voyant que ſon ouurage auoit eſté ruïné par l'artifice du Diable; &49 que tous lës hommes auoient eſté precipitez dans vne ruïne etetnelle. Et d'ailleurs ſçachant que la volonté de ſon Pere eſtoit de les reſtablir, eſt venu au monde pour accomplir cette volonté. I'ay pris plaiſir, diſoit il à ſon Pere, à faire ta volonté Pſeaume 40. verſ. 9. Et d'autant qu'il falloit mourir ſuiuant l'arreſt irreuocable prononcé dans le Paradis Terreſtre; Il s'adreſſe derechef à ſon Pere, Tu n'as point voulu ſacrifice, ny offrande pour le peché, luy dit-il, mais tu m'as appro­prié vn corps: Me voicy, je viens, afin de faire, ô Dieu, ta volonté, Hebr. 10. verſ. 5. & 8. Il a donc pris & vny noſtre nature humaine à ſa nature diuine, comme j'ay dit cy-deuant, afin de pouuoir mourir, s'eſt chargé de nos pechez ſans en eſtre entaché, d'au­tant qu'il eſt le Saint des Saints, la Sainteté tres-ſainte: & finalement s'eſt offert ſoy-meſme à Dieu pour nous ſur la Croix en ſacrifice viuant,50 Et par le merite de ſon ſacrifice déja ordonné deuant la fondation du monde. 1. Epiſtre de S. Pierre chap. 1. verſ. 19. & 20. a fait noſtre paix, nous a lauez & nettoyez en ſon ſang de tou­tes nos ſoüillures par l'operation du S. Eſprit, figuré & repreſenté par ces eaux nettes, dont Ezechiel a parlé, nous a rendus agreables à Dieu, & nous a merité les biens ſpirituels qui nous ont eſté promis par cette diuine Alliance, & ainſi pouuons nous dire auec verité, qu'il en eſt le Mediateur, la Victime, & le Sacrificateur.

Le P.

Il eſt vray; Mais nous pouuons ajoûter qu'il en eſt auſſi le Meſſager & le garand; le Meſſager, parce que c'eſt luy qui a parlé par la bouche des ſaints Prophetes qui nous l'ont de­noncé, & qui nous a annoncé la paix. L'eſprit du Seigneur eſt ſur moy, di­ſoit-il, au chap. 4. de S. Luc verſets 18. & 19. d'autant qu'il m'a oint, il m'a enuoyé pour euangelizer, aux pau­ures,51 pour guerir ceux qui ont le coeur froiſſé, pour publier deliurance aux captifs, & aux aueugles le recouure­ment de la veuë: pour enuoyer à de­liure ceux qui ſont foulez & publier l'an agreable du Seigneur; nous ap­prenant par ces paroles Euangeliques que c'eſt luy qui eſt le Roy de paix, qui eſt venu pour faire la paix entre Dieu & nous, & qui l'a faite en effet par le ſacrifice de ſon corps qu'il luy a offert ſur la Croix. Et le garand, pre­mierement parce que Dieu l'auoit ordonné de tout temps pour propi­tiation par la foy au ſang d'iceluy, Rom. 3. verſ. 24: Et ſecondement, parce qu'il nous a luy-meſme promis de nous donner la vie eternelle, qui eſt le but & la fin de cette Alliance ; Car la promeſſe du Pere, dit S. lean au chap. ſecond de ſa premiere verſ. 15. eſt la vie eternelle; Et noſtre Seigneur Ieſus Chriſt nous aſſeure au chap. 6. de l'Euangile ſelon S. Iean52 verſ. 40. que la volonté de ſon Pere eſt, que quiconque croit en luy ait la vie eternelle; Et partant ajoûte-t-il, ſur la fin du meſme verſet, le reſſuſci­teray-je au dernier jour. Or comme il eſt ſource de Vie & de Lumiere, le Tout-puiſſant & le Veritable, il ac­complira ce qu'il nous a promis, & dés-à preſent il nous forme & façon­ne à cette fin par la Predication de l'Euangile, par ſes Sacremens qui ſont comme les ſeaux & les arres de ſa promeſſe, & par ſon S. Eſprit, qu'il met au dedans de nous, afin qu'il eſloigne du noſtre, les doutes que l'ennemy de noſtre ſalut taſche d'y fourrer, qu'il nous affermiſſe en l'a­mour de Dieu, & en l'aſſeurance que nous auons qu'il accomplira ce qu il nous a promis; Et ainſi pouuons-nous dire qu'il eſt luy-meſme le Fonde­ment, le Moyenneur, la Victime, le Sacrificateur, le Meſſager, & le Ga­rand de cette diuine Alliance; Et par­tant53 éjoüïſſons nous en luy, & chan­tons luy cantiques de loüanges & d'a­ctions de graces. A toy donc qui nous as aymez, qui nous as lauez & rachetez par ton ſang, & nous as fait Roys & Sacrificateurs à Dieu ton Pere; A toy, diſ-je, qui as eſté mort, & qui es viuant aux ſiecles des ſiecles ſoit honneur & gloire à perpetuïté.

Or mon fils il me refte vne difficul­, ſur laquelle je deſire eſtre éclaircy. Sçauoir; Pourquoy eſt-ce que cette Alliance eſt dite nouuelle; Veu qu'el­le fut contractée dans le Paradis Ter­reſtre dés le moment qu'Adam eut peché, renouuellée auec Abraham quatre cens trente ans auparauant celle de Moyſe, comme l'Apoſtre S. Paul nous l'apprend au chap. 3. de ſon Epiſtre aux Gal. verſ. 17. Et que d'ail­leurs elle a produit ſon effet & ſa ver­tu enuers les Peres qui l'ont embraſ­ſée, qui ont regardé au ſang de l'A­gneau occis dés la fondation du mon­de,54 Apoc. 13. verſ. 6. Et de fait le S. Eſprit leur rend ce teſmoignage au chap. 11. de l'Epiſtre aux Hebreux, Que par foy ils ont obtenu teſmoi­gnage d'auoir eſté agreables à Dieu, & que combien qu'ils n'ayent veu l'entier accompliſſement des pro­meſſes, ils les ont veuës de loin, creuës & ſaluées, & ſont treſpaſſez en la foy auec vn plain contentement d'eſprit de l'aſſeurance de leur ſalut.

Le F.

Ie ſerois bien en peine de vous ſatisfaire; car je vois que le Prophete Ieremie la nomme nouuelle, & apres luy S. Paul, Vous eſtes venus, dit l'A­poſtre au 24. verſ. du 12. chap. de l'E­piſtre aux Hebreux, à Ieſus Media­teur de la nouuelle Alliance, & au ſang de l'aſperſion prononçant cho­ſes meilleures que celuy d'Abel, & au 20. verſ. du chapitre 13. de la meſme Eſpiſtre, il la nomme eternelle; ce qui ſemble eſtre bien contraire: Veu qu'en l'Eternité il n'y peut auoir de55 nouueauté: Neantmoins comme c'eſt le S. Eſprit qui a parlé par la bou­che de ces ſaints hommes, il faut te­nir l'vn & l'autre pour conſtant, & concilier à mon opinion ces paſſages en cette ſorte: Que Dieu ayant de­terminé de toute eternité d'enuoyer ſon Fïls Ieſus Chriſt, l'Agneau ſans tâche & ſans macule, pour eſtre pro­pitiation pour les Eleus: à cet eſgard elle peut eſtre dite eternelle, & par conſequent plus ancienne que celle de Moyſe: Mais elle peut auſſi eſtre dite nouuelle, ayant égard à la mani­feſtation de noſtre Seigneur Ieſus Chriſt en chair: Et de fait l'Apoſtre S. Pierre apres auoir dit aux verſets 19. & 20. du chapitre 1. de ſa premiere, que Ieſus Chriſt eſt l'Agneau ſans tâche & ſans macule déja ordonné deuant la fondation du mōde, ajoûte ſur la fin du 20. verſet, mais manifeſté és derniers temps pour vous: Car en effect elle n'a pas eſté pleinement56 manifeſtée, qu'apres la venuë de no­ſtre Seigneur Ieſus Chriſt, & lors qu'il l'a luy-meſme publiée par ſes Predica­tions & par le miniſtere de ſes ſaints Apoſtres apres ſon Aſcenſion au Ciel: & ainſi j'eſtime qu'il n'y a point de danger de dire, que cette Alliance eſt eternelle & nouuelle: Eternelle ayant égard au decret de Dieu & aux auan­tages qu'elle a apporté aux anciens Peres, & nouuelle ayant égard à la publication d'icelle par noſtre Sei­gneur Ieſus Chriſt & fes Apoſtres.

Le P.

Ie le crois ainſi; toutesfois s'il eſt autrement, Dieu vueille nous le reueler par fon ſaint Eſprit, nous don­ner la vraye intelligence de ſa ſainte Parole, & nous rendre accomplis en toute bonne oeuure, faiſant en nous ce qui luy eſt agreable par Ieſus Chriſt, Hebr. 13. veſ. 21. Or mon fils puis qu'il a pleu à Dieu de traitter vne Alliance ſi auantageufe auec nous ſans exiger autre choſe de nous que57 l'obeïſſance: obeyſſons à ſa ſainte Pa­role, retenons ferme ſa diſcipline, perſeuerons conſtamment en la pro­feſſion de ſa verité, tenons nous fer­mes à Ieſus Chriſt, puis qu'il eſt no­ſtre tout, & prenez garde à ne vous pas éloigner, ou détourner de luy ſous quelque pretexte que ce foit: car ſi apres auoir receu cette grace, vous veniez à vous laiſſer ſeduire, & à vous ſouſtraire de luy, il n'y a point d'autre ſacrifice pour le peché, mais vne at­tente terrible du jugement de Dieu & vne ferueur de feu qui doit deuo­rer ſes aduerſaires, Heb. chap. 10. verſ. 26. & 27. Dieu par ſa ſainte grace qui a commencé cette bonne oeuure en nous, vueille la paracheuer, nous donner le don de perſeuerance, nous affermir & nous deliurer du malin, j'eſpere qu'il le fera, car il eſt fidele, Theſſal. 3. verſ. 3.

Au ſurplus vous auez mis en auant en parlant de la creation, vne propo­ſition58 à laquelle il eſt neceſſaire d'ap­porter quelque eſclairciſſement; car vous auez dit que noſtre Seigneur Ieſus Chriſt eſt la Parole eternelle de Dieu, par laquelle toutes choſes ont eſté creées; Et toutesfois Moyſe qui nous a décrit la creation du mon­de ne s'en explique pas de la ſorte, il dit ſeulement aux deux premiers ver­ſets du premier chapitre de la Gene­ſe, que Dieu crea au commencement les Cieux & la Terre, que la terre eſtoit ſans forme & vuide, que les te­nebres eſtoient ſur le deſſus de l'abyſ­me, & que le S. Eſprit ſe mouuoit ſur le deſſus des eaux: Mais de la Pa­role eternelle de Dieu il n'en eſt fait aucune mention. Ie vois bien que Ieremie au 12. verſ. du 10. chapitre de ſes Reuelations dit, que Dieu a fait la terre par ſa vertu, qu'il a agencé le monde par ſa Sageſſe, & qu'il a eſten­du les Cieux par ſon intelligence; mais il ne parle point de Ieſus Chriſt,59 Dites moy donc comment eſt-ce que vous l'entendez, & appuyez voſtre dire de quelque paſſage de la Parole de Dieu?

Le F.

La Sageſſe de Dieu dont Iere­mie parle, eſt la ſouueraine Sapience que Salomon introduit au huictiéme des Prouerbes, s'écriant qu'elle a eſté engendrée deuant que les monta­gnes fuſſent aſſiſes, qu'elle eſtoit auec Dieu lors qu'il agençoit les Cieux, qu'il affermiſſoit les nuës, & qu'il mettoit ſon Ordonnance touchant la Mer, à ce que fes eaux n'outre paſſaſ­ſent les bornes d'icelle, c'eſt Ieſus Chriſt, la Parole, la Sapience eternel­le de Dieu, par lequel & pour lequel toutes choſe ont eſté creées; Et de fait S. Iean confirme cette verité; car au premier chapitre de ſon Euangile verſet 1. 2. & 3. Il parle en cette ſorte, Au commencement eſtoit la Parole, & la Parole eſtoit auec Dieu, & cette Parole eſtoit Dieu: toutes choſes60 ont eſté faites par icelle, & ſans icelle rien de ce qui a eſté fait, n'a eſté fait: au verſet 14. il ajoûte, que cette Parole a eſté faite chair, & qu'elle a habité en­tre nous; Au 17. il nōme cette meſme Parole Ieſus Chriſt, & au 34. il dit, que Ieſus Chriſt eſt Fils de Dieu. A pres luy S. Paul au premier des Hebr. verſ. 2. dit, que Dieu a parlé à nous en ce dernier temps par ſon Fils, que c'eſt par luy qu'il a fait les ſiecles: Au 3. verſet, que c'eſt le Fils qui ſoûtient toutes choſes; & au 10. verſet il rap­porte à Ieſus Chriſt ce qui eſt dit au Pſeau 102. verſet 26. Toy Seigneur as fondé la Terre, & les Cieux ſont les oeuures de tes mains. Et voila com­ment la Parole par laquelle toutes choſes ont eſté faites, eſt Ieſus Chriſt, le Fils eternel de Dieu, ſeconde per­ſonne de la ſainte Trinité, qui a pris noſtre nature dans le ventre de la Vierge Marie par l'operation du S. Eſprit, afin d'accomplir les promeſ­ſes61 faites aux Peres, & à leur poſte­rité.

Le P.

Apres ces teſmoignages il ne faut nullement douter que Ieſus Chriſt ne ſoit la Parole, la Sapience eternelle de Dieu, par lequel & pour lequel toutes choſes ont eſté faites. Me pourriez vous montrer, commēt, en quel lieu, & en quel temps cette Parole a eſté faite chair?

Du temps, du lieu, & de la maniere de la naiſſance de noſtre Seigneur Ieſus Chriſt.

Le F.

LA Parole eternelle de Dieu fut faite chair au temps du Roy Herode ſous l'Empire d'Augu­ſte: car ce fut ſous le regne d'Hero­de que fut accomply la Prophetie du Patriarche Iacob contenuë au chap. 49. de la Geneſe verſ. 10. Ce Saint per­ſonnage declarant à ſes enfans ce qui leur deuoit arriuer apres ſa mort, predit auſſi le temps de la venuë de62 noſtre Seigneur Ieſus Chriſt en chair. Le Sceptre, leur dit-il, ne ſe de partira point de Iuda, ne le Legiſlateur d'en­tre ſes pieds juſqu'à ce que Silo vien­ne: Or par ce mot de Silo il enten­doit le Meſſie, qui eſt le Chriſt; car Silo & Meſſie ſont vne meſme choſe. Silo, à ce que j'ay appris, eſt vn mot Hebreu qui ſignifie pacifique, & Meſ­ſie en eſt vn autre, qui veut dire Oint; & ſont tous deux fort propres pour ſignifier la perſonne de noſtre Me­diateur. Ieſus Chriſt donc naſquit ſui­uant les Euangeliſtes, au temps du Roy Herode, que les Romains auoiēt eſtably, apres auoir ſubjugué la ludée à l'excluſion d'Hircanus qui eſtoit priſonnier entre les Parthes: Ie dis à l'excluſion d'Hircanus; parce qu'e­ſtant, comme il eſtoit, ſucceſſeur des Maccabées, & par conſequent de la Tribu de Iuda, il eſtoit legitime ſuc­ceſſeur de la Royauté. Herode au contraire eſtoit Iduméen; c'eſt pour­quoy63 auſſi apprehendant d'eſtre de­poſſedé par Hircanus apres ſon retour de ſa priſon prit ſa fille à femme; & par ce moyen appaiſa Hircanus; Mais luy ne pouuant s'aſſeurer fit tuër ſon beau-pere, & en ſuitte fit mourir ſa femme & les enfans iſſus de leur ma­riage. Ce qui donna ſujet à Auguſte de dire, qu'il aymeroit mieux eſtre le pourceau d'Herode que ſon fils: Fi­nalement il fit maſſacrer les ſeptante Senateurs, qui compoſoient le Senat, ou Sanedrin, par l'auis deſquels les affaires du Royaume eſtoient con­duites: de ſorte qu'il diſpoſa du Senat & de la Sacrificature à ſon plaiſir, y eſtabliſſant des Proſelites eſtrangers; & ainſi fut le Sceptre tranſporté hors de la famille de Iuda, le Legiſlateur fut oſté d'entre ſes pieds, & la Prophetie de Iacob fut accomplie; puis que Ieſus Chriſt naſquit au temps du Roy Herode ſuiuant les Euangeliſtes.

Quant au lieu de ſa naiſſance, Mi­chée64 auoit predit au deuxiéme verſet du ſixiéme chapitre de ſa Prophetie, qu'il naiſtroit en Bethleem; Et toy Bethléem, petite entre les milliers de Iuda, de toy me ſortira le conducteur ou dominateur de mon peuple; & nul ne reuoque en doute que Ieſus Chriſt ne ſoit en Bethléem.

Pour ce qui eſt de la maniere, elle ſe rapporte preciſement à ce qui en auoit eſté eſcrit par les Prophetes: car Ieremie en auoit parlé en cette ſorte au chap. 33. de ſa Prophetie verſ. 14. & 15. Voicy les jours viennent, dit le Prophete au nom de l'Eternel, que je mettray en effect la bonne Parole que j'ay prononcée: Or cette bonne Pa­role eſtoit la promeſſe de la ſemence de la femme faite à noſtre premier Pere, qui deuoit briſer la teſte du ſer­pent, & en laquelle ſeroient benites toutes les familles de la terre, renou­uellée à Abraham au chap. 22. de la Geneſe verſ. 18. & ratifiée à Iſaac chap. 6526. verſ. 4. Apres le meſme Prophete continuë ſon diſcours: En ce jour , dit-il, je feray germer à Dauid la ſe­mence promiſe, le germe de Iuſtice qui exercera jugemēt & Iuſtice. Eſaye au chap. 4. de ſa Prophetie verſ. 2. dit que ce germe de Iuſtice eſt le germe de l'Eternel, & au 14. verſet du chap. 7. il parle plus expreſſement, Voicy, vne Vierge ſera enceinte, & elle en­fantera vn fils, & on appellera ſon nom Emanuel, Dieu auec nous: Ce qui ne peut eſtre rapporté qu'à la Vierge Marie, qui eſtoit de la poſte­rité de Dauid, de la ſemence d Abra­ham, & à Ieſus Chriſt conceu du S. Eſprit; & partant Dieu & homme: A raiſon dequoy auſſi le meſme Pro­phete parlant de ſes deux natures au cinquiéme verſet du neuuiéme chap. dit, l'Enfant nous eſt , le Fils nous a eſté donné, l'empire a eſté poſé ſur ſon eſpaule, & on appellera ſon nom, l'Admirable, le Conſeiller, le Dieu66 fort & puiſſant, le Pere d'Eternité, le Prince de Paix; ce qui ne peut non plus conuenir à aucun autre qu'à noſtre Ieſus Chriſt vray Dieu & vray homme, venu au temps & en la ma­niere preſcripte & deſignée par les Prophetes.

Le P.

Il eſt vray que ces Propheties ne peuuent eſtre rapportées qu'à Ie­ſus Chriſt, & à la Vierge Marie; Et ainſi je tiens pour conſtant que Ieſus Chriſt eſt la ſemence promiſe, le ger­me de l'Eternel, vray Dieu & vray homme, le Prince de Paix, le Pere d'eternité, le Dieu fort & puiſſant; dont Eſaye auoit parlé. A preſent je voudrois entendre; Comment eſt-ce qu'il a briſé la teſte du ſerpent, & de quel ſerpēt, ſi c'eſt de celuy meſme qui ſeduiſit Eve ou de quelque autre.

Le F.

Pour ſatisfaire à voſtre deman­de, Ie ſuis obligé de vous dire encore en cet endroit, que ce fut le Diable qui ſeduiſit Eve ſous la forme du ſer­pent;67 à raiſon dequoy auſſi il eſt ap­pellé le grand dragon, le ſerpent an­cien au chap. 12. de l'Apoc. verſ. 9. Et de fait lors que le Souuerain Iuge pro. nonça contre ces criminels, Il diſtin­gua le Diable d'auec le ſerpent: car au 14. verſ. du 3 chap de la Geneſe, Il ordonna vne peine corporelle au Ser­pent; Tu ſeras maudit, luy dit-il, ſur toutes les beſtes des champs; Tu che­mineras ſur ton ventre & mangeras la poudre tous les jours de ta vie; Et c'eſt ce que nous voyons; car il va ſur ſon ventre & nous le conſiderons auec horreur comme l'inſtrument de no­ſtre ruïne. Mais à l'égard du Diable, il luy parla en cette ſorte au verſet ſui­uant; Ie mettray inimitié entre toy & la femme, qui eſt l'Egliſe, de laquel­le Eve eſtoit figure, entre ta ſemen­ce & la ſemence de la femme, c'eſt à ſçauoir entre les meſchans qui ſont proprement la ſemence du Diable. Matth. 13. verſ. 38. & 39. & Ieſus68 Chriſt qui eſt la ſemence de la femme & ſes rachetez. Icelle ſemence te bri­ſera la teſte & tu luy briſeras le talon; De ſorte que voila vne guerre decla­rée entre le Diable & les meſchans d'vne part, Ieſus Chriſt & ſon Egliſe de l'autre, qui a continué depuis & continuera juſqu'à ce que celuy qui l'a declarée, la faſſe ceſſer & ſonne luy meſme la retraitte; car le Dia­ble & les meſchans ont toûjours fait & feront la guerre à Ieſus Chriſt & à ſes Saints: Mais Ieſus Chriſt les a briſez, vaincus & défaits, les a preci­pitez du Ciel en terre en attendant qu'il vienne les enfermer dans le puits de l'abyſme ſuiuant ſa promeſſe con­tenuë au chap. 20. de l'Apoc. verſ. 10. & cependant il ſoûtient ſon Egliſe par ſa main puiſſante, l'aſſeure de la victoire en attendant qu'il l'a retire du combat, & qu'il l'intro duiſe en ſon Paradis pour la faire jouïr d'vn re­pos eternel; Et partant égayons nous69 & attendons en patience noſtre deli­urance qui eſt certaine & aſſeurée.

Le P.

Comment eſt-ce que noſtre Seigneur Ieſus Chriſt a vaincre ſes ennemis: Veu que les Euangeliſtes ne nous apprennent pas qu'il ait eu des armées, comme Ioſué liberateur de l'ancien peuple; Et au contraire lors que S. Pierre voulut ſe ſeruir de l'eſpée, pour le defendre, il luy commanda de la remettre en ſon lieu auec menace. Matth. 26. verſ. 51. & 52.

Le F.

Comme les ennemis du peu­ple des luifs eſtoient charnels, Il fal­loit que leurs liberateurs fuſſent char­nels, leurs armes & leurs combats correſpondans à leur nature, & à la nature de leurs ennemis: Mais les en­nemis de noſtre Seigneur Ieſus Chriſt & les noſtres, eſtans comme ils ſont ſpirituels, il a fallu que noſtre libera­teur fuſt Dieu & homme, ſes armes donc & ſes combats ont eſté correſ­pondans à ſa nature, & à la nature de70 ſes ennemis; ſa Sainteté tres-parfaite, ſa Parole puiſſante, ſes Miracles di­uins & extraordinaires, ſes Souffran­ces, ſa Mort, ſa Reſurrection & ſon Aſcenſion au Ciel, ſont les armes par leſquelles il les a vaincus, ſurmontez & menez en triomphe.

Le P.

C'eſt vne choſe difficile à com­prendre, que les ennemis de noſtre Seigneur Ieſus Chriſt ayent eu le pou­uoir de le faire cloüer ſur vne Croix, de le faire mourir d'vne Mort maudite & ignominieuſe, & que de cet anean­tiſſement il ait ſe redreſſer, les vaincre & les emmener en triomphe: Deduiſez donc ces choſes par ordre, afin qu'elles ſoient bien entenduës & bien compriſes: Car elles ſont grande­ment importantes.

De l'aneantiſſement de noſtre Seigneur Ieſus Chriſt, de ſa Victoire, & de ſon Triomphe.

Le F.

I'Auouë que ces choſes ſont71 tres-importantes & difficiles à com­prendre au ſens de la chair: Et toutes­fois ceux qui ſont éclairez d'enhaut les comprennent facilement & les croyent fermement: Et d'autant plus que pour affermir noſtre foy, le S. Eſprit les auoit predites long-temps auparauant qu'elles ſoient arriuées; Car le Prophete Eſaye parlant de l'a­neantiſſement de noſtre Seigneur Ieſus Chriſt au chap. 53. de ſes Reue­lations, auoit dit qu'il eſt le meſpriſé, le debouté d'entre les hommes, hom­me plein de douleurs, & ſçachant ce que c'eſt que langueur, qu'il a eſté mené à la tuërie comme vn agneau: Mais apres il ajouſte, qu'il a eſté en­leué de la force de l'angoiſſe, & de la condamnation; Finalement il s'écrie, qui racontera ſa durée? Car ſa vie eſt enleuée de la terre, pour nous ap­prendre que Ieſus Chriſt apres auoir ſouffert par les mains des iniques de­uoit reſſuſciter, eſtre enleué en gloi­re72 pour y viure & regner eternelle­ment. Et de fait le Prophete Roy par­lant de ſa victoire & de ſon triomphe au Pſea. 68. verſ. 19. dit, tu es monté en haut, & as mené captiue grāde multi­tude de captifs, & as donné dons aux hommes. Or les Euangeliſtes & les Apoſtres nous apprennent que tou­tes ces choſes ont eſté accomplies en Ieſus Chriſt, & par Ieſus Chriſt; Saint Paul particulierement & fort expreſ­ſement quand il dit au chapitre 2. de l'Epiſtre aux Philip. verſ. 6. & ſui­uans, que Ieſus Chriſt eſtant en for­me de Dieu, égal à Dieu s'eſt anean­ty ſoy meſme, ayant pris forme de ſeruiteur fait à la ſemblance des hom­mes, s'eſt abaiſſé ſoy meſme, & a eſté obeïſſant juſqu'à la mort de la Croix, pour laquelle cauſe ajoûte l'Apoſtre, Dieu l'a ſouuerainement éleué & luy a donné vn nom, afin qu'au nom de Ieſus tout genoüil ſe ploye, & que toute langue cōfeſſe que Ieſus Chriſt73 eſt le Seigneur, à la gloire de Dieu ſon Pere: Au moyen dequoy nous ne deuons pas douter de ſa Reſurrection glorieuſe, que Dieu ne l'ait couron­ de gloire & d'honneur, & qu'il ne l'ait conſtitué par deſſus toute Princi­pauté & Puiſſance, pour eſtre adoré des Anges & des hommes, à la honte & confuſion de ſes ennemis. Mais parce qu'il falloit commencer ce grand oeuure par ſon aneantiſſement, comme il nous l'a appris luy-meſme au 24. de S. Luc verſ. 16. quand il a dit, qu'il falloit que le Chriſt ſouf­friſt ces choſes, & que par ſes ſouf­frances il entraſt en ſa gloire; il s'eſt aneanty en telle ſorte, qu'il a voulu naiſtre dans vne eſtable, & eſtre cou­ché dans vne creche, pour nous fai­re connoiſtre qu'il eſtoit le meſpriſé, le debouté d'entre les hommes, ce­luy dont le Prophete auoit parlé, & c'eſt le premier acte de ſon anean­tiſſement: Mais en cet eſtat abject74 & contemptible, il a mis la terreur, l'effroy & l'eſpouuantement dans l'ef­prit d'vn Tyran qui vouloit le faire perir, pour nous apprendre qu'il eſt auſſi le Dieu fort & puiſſant; Et c'eſt à mon opinion, le premier effet de ſa force contre ſes ennemis. Apres s'e­ſtant retiré pour vn temps en Egypte, afin d'accomplir la Prophetie d'Oſée, comme S. Matth. nous l'apprend au chap. 2. de ſon Euangile verſ. 15. à ſon retour. Il s'eſt aſſujetty volontaire­ment à vne vocation baſſe & penible juſqu'à l'âge de trente ans, pour nous apprendre qu'il ſe rendoit pauure afin de nous enrichir, qu'il s'abaiſſoit pour nous éleuer. Pendant cet inter­ualle, il a eſté dans vne Meditation continuelle des ſouffrances qu'il de­uoit accomplir en Ieruſalem, com­me le S. Eſprit nous l'apprend au Pſe. 88. car aux verſ. 5. & 16. Il introduit noſtre Seigneur parlant à ſon Pere en cette ſorte; On m'a mis au rang de75 ceux qui deſcendent dans la foſſe, Ie ſuis deuenu comme l'homme qui n'a point de vigueur, le ſuis affligé, & comme rendant l'eſprit: dés ma jeu­neſſe j'ay ſouffert tes effrois & ne ſçais j'en ſuis, qui ne fut pas vn petit combat dans ſon eſprit: car de voir vne mort cruelle & ineuitable deuāt ſes yeux, vne mort maudite & igno­minieuſe, & demeurer ferme & con­ſtant, n'eſt pas vne petite eſpreuue: Neantmoins ayant ſurmonté tous les obſtacles, que la fragilité humaine luy pouuoit ſuggerer, il ſe diſpoſa d'aller en Ieruſalem, afin d'accomplir l'oeuure de noſtre redemption pour laquelle il auoit eſté appellé. Dés qu'il ſe preſente, & que par ſes Predi­cations & par ſon exemple il con­damne le vice, reprend les vicieux & appelle les hommes à la repentance & à la reformation, le voila enuiron­ d'ennemis, aſſailly de tous coſtez: le Diable l'attaque en ſa ſolitude au76 deſert, déploye ſes forces & toutes ſes ruſes, afin de le porter à la deffian­ce, à l'idolatrie, ou au deſeſpoir: mais le Seigneur demeura ferme & luy re­ſiſta en telle ſorte qu'il demeura vi­ctorieux, & par ſa Parole puiſſante & efficacieuſe le contraignit de s'enfuïr & ſe departir de luy: Mais quelque temps apres cet eſprit malin s'eſtant deguiſé & faiſant ſemblant de ſe vou­loir inſinuer par la confeſſion de ſon nom, afin de rendre ſa doctrine ſuſ­pecte; Noſtre Seigneur reconnoiſſant ſa malice, rejetta ſon teſmoignage, luy impoſa ſilence, & le chaſſa des corps dont il s'eſtoit emparé. Luc 4. verſ. 34.35. & 40. Les Phariſiens & Saduceens de leur part l'attaquerent pluſieurs & diuerſes fois s'efforçans de le ſurprendre, & de l'enlacer en paroles: Mais noſtre Seigneur qui eſt la Sapience & la Sageſſe eternelle du Pere les rendit confus & leur ferma la bouche; en telle ſorte qu'ils n'oſerent77 plus l'attaquer. Matth. 22. verſ. 46. finalement le Diable faiſant ſes der­niers efforts corrompit Iudas, luy mit au coeur de le trahir, incita les luifs de le mettre à mort: Et dautant qu'il eſtoit venu pour abolir le peché en ſa chair pour faire noſtre paix, & nous reconcilier auec ſon Pere par le ſacri­fice de ſon corps, & que pour ce teffet il falloit que la condamnation à mort prononcée contre nous fuſt execu­tée contre luy, comme j'ay dit cy-deuant, il abandonna ſon corps à ſes ennemis, & comme vn agneau ſouffrit & endura patiemment tous les outrages qu'ils luy voulurent faire: combien qu'il fuſt en ſon pou­uoir de les renuerſer par vne ſeule pa­role, comme il le leur auoit donné à connoiſtre peu de temps auparauant, Iean. 18. verſ. 6. bref il a eſté affligé dés ſa jeuneſſe; En telle ſorte que le ſaint Eſprit l'a comparé à vne perſon­ne qui rend l'eſprit, qui ne ſçait plus78 il en eſt à cauſe de ſon angoiſſe, Pſeaume 88. D'ailleurs le Prophete Eſaye auoit dit au 3. verſet du chapi­tre 53. cy-deuant allegué, qu'il eſtoit plein de douleurs, & ſçachāt que c'eſt que de langueur. Ces meſchans donc apres l'auoir foüetté & tourmenté en diuerſes ſortes le cloüerent ſur la Croix, & le reduiſirent en l'eſtat & en la condition des morts; & c'eſt le plus grand combat qu'il ait ſoû­tenu: car il falloit vaincre en mou­rant, & ſurmonter par ſon obeïſſan­ce, non ſeulement le diable, le peché & la mort; mais Dieu meſme qui exi­geoit de luy vn payement exact de toutes nos debtes: & certes il a bien fallu que la meſlée ait eſté rude & violente, puis que la terre en a trem­blé, que les pierres ſe ſont fonduës, que le Soleil en a eſté comme effrayé, & qu'il a caché ſa face pour ne pas voir ce triſte ſpectacle, le Saint, le Iuſte, le Roy de gloire, ſon Createur79 attaché ſur vne Croix, & mis au rang des mal-faiteurs, que le voile du Tem­ple s'eſt fendu depuis le haut juſqu'au bas, que les ſepulchres ſe ſont ou­uerts, que noſtre Sanſon meſme a ſué ſang & eau, qu'il a eſté ſi fort angoiſ­ſé, qu'il a auoüé que ſon ame eſtoit ſaiſie de triſteſſe iuſqu'à la mort; qu'il a fallu qu'vn Ange ſoit deſcendu du Ciel pour le fortifier, comme S. Luc nous l'apprend au chap. 22. de ſon Euangile verſ. 43 & que finallement il a fait cette plainte lamentable à ſon Pere, mon Dieu, mon Dieu, pour­quoy m'as-tu abandonné? & cela d'autant que ſa Diuinité ſe tenoit comme ſuſpenduë ſans luy commu­niquer ſes conſolations: Mais apres que ſes ennemis eurent exercé toute leur rage contre luy, croyant l'auoir vaincu & alteré pour toûjours, & que par ſon obeïſſance, & par le ſacrifice de ſon corps, il eût pleinement ſatis­fait la juſtice de ſon Pere; apres, dis-je,80 auoir effacé nos pechez par ſon ſang & accomply tout ce qui auoit eſté fi­guré par le bouc Hazaël, par le ſer­pent d'airain éleué au deſert Nomb. 21. Et par toutes les autres figures de l'ancien Teſtament; Noſtre Sanſon re­prit ſes forces, fit vn ſi grand effort qu'il n'en fut jamais de ſemblable au Ciel ny en terre: Car il rompit les liens de la mort; comme cela auoit eſté predit au Pſeau. 107. verſ. 16. ſe redreſſa ſoy-meſme par ſa puiſſance Diuine, reprit vne vie nouuelle tout à fait ſpirituelle; & par conſequent plus noble & plus excellente que cel­le qu'il auoit abandonnée à ſes enne­mis, enleua non les portes d'vne ville comme Sanſon; mais toute la puiſ­ſance des enfers, nous deliura de la main tyrannique de tous nos enne­mis, & apres les auoir dépoüillez de leur puiſſance les mena en triomphe, fut couronné de gloire & d'honneur, receut ce pouuoir de ſon Pere de nous81 mettre en pleine liberté, & de nous faire participants de tous les fruits de ſa victoire; de ſorte que nos ennemis n'ont plus de domination ſur nous, & encore moins ſur luy: d'autant qu'il a eſté pleinement declaré Fils de Dieu en puiſſance par ſa Reſurre­ction d'entre les morts, Rom. 1. verſ. 4. Et pour nous aſſeurer de ſa victoire & de noſtre deliurance ſpirituelle, il conuerſa apres ſa Reſurrection qua­rante jours auec ſes Diſciples, par­lant des choſes qui appartiennent au Royaume de Dieu. Actes 1. verſ. 3. leur apprenant qu'il alloit au Ciel, non ſeulement pour ſoy, mais auſſi pour eux & pour nous; & nous aſſeu­rant de ſon retour pour nous y intro­duire en corps & en ame. Iean 14. verſ. 2. & 3. Et peu de jours apres ſon Aſ­ſenſion au Ciel, ſçauoir le jour de la Pentecoſte, il leur enuoya ſon S. Eſprit, comme nous le voyons au deuxiéme chapitre des Actes, accom­pliſſant82 par cette effuſion de ſa grace cet ancien Oracle contenu au Pſe. 68. rapporté par S. Paul au chap. 4. des Epheſ. verſ. 8. eſtant monté en haut il a mené captiue grande multitude de captifs & a donné dons aux hom­mes, verifiant la victoire pleine & en­tiere qu'il auoit obtenuë ſur tous ſes ennemis ſpirituels & corporels à la gloire du Pere, & pour la conſolation de ſes rachetez.

Le P.

Ie ſuis ſatisfait mon fils de vo­ſtre reſponſe, & rens graces à Dieu de tout mon coeur pour toutes les grandes merueilles qu'il a faites & accomplies par ſa grande puiſſance & ſageſſe incomprehenſible, & pour noſtre ſalut, à la honte & confuſion de ſes ennemis & des noſtres. Or apres ce petit témoignage de noſtre reconnoiſſance, diſons vn mot de cette figure ancienne; je veux dire du ſerpent d'airain; car pour ce qui eſt du bouc Hazael, c'eſt vne choſe83 connuë & entenduë d'vn chacun, qu'il eſtoit figure de noſtre Seigneur Ieſus Chriſt; que tout ainſi que ce bouc emportoit les pechez de l'aſ­ſemblée au deſert, il eſtoit aſſom­ ou deuoré par les beſtes farou­ches, noſtre Seigneur Ieſus Chriſt s'eſt chargé de nos pechez, les a em­portez ſur la Croix, comme S. Pierre nous l'apprend au chap. 2. de ſa pre­miere verſ. 24. à la quelle il a eſté at­taché & percé par des hommes plus cruels que des beſtes farouches, les a lauez & effacez en ſon ſang; En telle ſorte qu'ils ne ſeront plus trou­uez. Il ſemble donc que la figure du ſerpent d'airain fut inſtituée, non ſeulement pour l'effect qu'elle pro­duiſit en ce temps , mais pour quel­que autre ſujet.

L'Enfant montre que le ſerpent d'airain eſtoit vne figure bien expreſſe de noſtre Seigneur Ie­ſus Chriſt, parle de ſa vertu, & fait voir le rapport de la figure auec la verité.

Le F.

S'il vous plaiſt de la bien con­ſiderer,84 vous trouuerez qu'elle fut inſtituée par vne ſageſſe admirable, non ſeulement pour guerir les Iſraëli­res qui auoient eſté mordus au deſert par les ſerpens bruſlans; Mais auſſi pour nous amener à la connoiſſance de nous meſmes, & de noſtre diuin Sauueur repreſenté par cette figure; comme il nous l'a appris au 3. de S. Iean verſ. 14. & 15. Tout ainſi, diſoit il à Nicodeme, que le ſerpent d'airain fut éleué au deſert, il faut que le Fils de l'homme ſoit éleué, afin que qui­conque croit en luy ne periſſe point, mais ait vie eternelle. Comme ainſi ſoit donc que nous fuſſions naturel­lement meſchans, ingrats, rebelles & deſobeïſſans, le peché qui eſt vn ve­nin mortel, vne peſte tres-violente, dōt le Diable auoit infecté nos ames, nous euſt fait mourir d'vne mort cruelle & eternelle. Mais Dieu qui eſt pitoyable & bon, eſmeu de com­paſſion enuers ſa pauure creature85 conſola noſtre premier pere & ſa poſterité, par la promeſſe de la ſe­mence de la femme qui deuoit bri­ſer la teſte du ſerpent & les guerir de ce venin mortel. Et d'autant que cette promeſſe eſtoit obſcure, ſuffi­ſante neantmoins à ceux qui la rece­uoient auec foy, Dieu ajoûtoit de temps en temps quelque type ou fi­gure pour eſclaircir cette verité. Pour exemple celle du ſerpent d'airain, afin qu'en le regardant ceux qui eſtoient mordus des ſerpens bruſlans fuſſent gueris: ce qui ſembloit eſtre du tout impoſſible à la raiſon humai­ne; Neantmoins ceux qui ajouſtoient foy à la promeſſe de Dieu qui éle­uoient leurs coeurs au Ciel & les yeux vers cette figure eſtoient gueris de ce venin mortel. A plus forte raiſon donc ſerons nous gueris & ſauuez, ſi connoiſſans noſtre maladie mortelle nous auons recours auec confiance à Ieſus Chriſt éleué ſur la Croix, chargé86 de nos pechez, portāt nos langueurs, affligé pour nous, & ſouffrant pour nous. Eſaye 53. O mon Seigneur & mon Dieu qui as tant ſouffert pour nous, regarde nous du palais de ta gloire; car nous mettons toute noſtre eſperance en toy, comme en noſtre ſeul & parfait Sauueur.

Le Pere confirme le dire de l'Eſant, apres il luy demande ſi Ieſus Chriſt eſt venu volontaire­ment, s'il a eſté reconnu, & s'il s'eſt trouué quelqu'vn qui luy ait rendu teſmoignage.

Le P.

Il eſt vray que le ſerpent d'ai­rain eſtoit vne figure bien expreſſe de noſtre Seigneur Ieſus Chriſt & de noſtre gueriſon ſpirituelle. Et je ne fais nulle doute & tiens cette verité pour conſtante, que ſi nous connoiſ­ſons noſtre miſere, ſi nous ſommes déplaiſans d'auoir offenſé Dieu, ſi nous éleuons noſtre coeur & nos yeux à Ieſus Chriſt, mort pour nos pechez, reſſuſcité pour noſtre juſti­fication, intercedant pour nous, ſi87 nous mettons toute noſtre eſperance en luy comme en noſtre ſeul & par­fait Sauueur, il nous donnera la vie eternelle ſuiuant ſa promeſſe conte­nuë au dernier verſet du chap. 3. de l'Euangile ſelon S. Iean: Et au con­traire ſi nous luy deſobeïſſons, nous ne verrons point la vie, & l'yre de Dieu demeurera ſur nous, comme il l'a prononcé luy meſme ſur la fin du meſme verſet. Dieu par ſa ſainte gra­ce vueille nous déliurer de toute in­credulité & nous donner vne vraye foy, ouurante par repentance & par charité; afin que nous puiſſions par­uenir à la vie eternelle. Or mon fils il me ſemble que pour nous confir­mer d'autant plus en la foy, & en l'a­mour que nous portons à noſtre Sei­gneur, il eſt neceſſaire de ſçauoir s'il eſt venu volontairement, s'il a eſté connu en ſon aneantiſſement, & s'il s'eſt trouué quelqu'vn qui luy ait rendu teſmoignage.

88

L'enfant montre que Ieſus Chriſt eſt venu vo­lontairement, Qu'il a eſté connû, que le l'ere, les Anges, les hommes, & les elemens luy ont rendu teſmoignage.

Le F.

Quant au premier poinct j'ay déja montré par deux paſſages, que Ieſus Chriſt eſt venu volontairement, l'vn du Pſeaume 40. par lequel le Pro­phete introduit Ieſus Chriſt venant au monde & parlant à ſon Pere en cette ſorte. Tu n'as point voulu d'ho­locauſte, ny d'oblation pour le pe­ché, adonc j'ay dit, Me voicy venu, il eſt eſcrit de moy au rolle du liure; Mon Dieu j'ay pris plaiſir à faire ta volonté; Et l'autre du chapitre ſe­cond de l'Epiſtre aux Philippiens l'Apoſtre dit, qu'il s'eſt aneanty ſoy­meſme ayant pris forme de ſeruiteur fait à la ſemblance des hommes, qu'il s'eſt abaiſſé ſoy-meſme, & a eſté obeïſſant juſqu'à la mort, voire la mort de la Croix: d'où s'enſuit que nous ne pouuons reuoquer en doute,89 que Ieſus Chriſt ne ſoit venu volon­tairement, & qu'il a pris plaiſir de faire la volonté de ſon Pere, & de fait il l'a ſi bien accomplie, qu'il a preferé le ſalut de ſes eleus à ſa propre vie, & pour l'amour de nous a meſpriſé la honte & l'ignominie, s'eſt expoſé aux miſeres de cette vie, aux injures, aux outrages, à la perſecution des meſ­chants; Et finalement à la mort mau­dite & ignominieuſe de la Croix. Et lors que S. Pierre voulut le détourner, ne ſçachant ce qu'il faiſoit, il le re­pouſſa rudement l'appellant Satan, Matth. 16. verſ. 22.23. parce qu'en effet c'eſtoit vn conſeil de la chair: que ſi pendant ſes angoiſſes il a prié ſon Pere de tranſporter cette coupe arriere de luy, il s'eſt reſigné à ſa vo­lonté: toutesfois que ma volonté ne ſoit point faite mais la tienne. Luc 22. verſ. 42.

Pour ce qui eſt de l'autre point, pluſieurs teſmoins me fourniſſent la90 reſponſe: les Anges luy rendirent teſmoignage apres ſa naiſſance. Les Sages venus d'Orient pour l'adorer, Simeon & Anne la Propheteſſe luy rendirent auſſi teſmoignage lors qu'il fut porté au Temple pour eſtre circō­cis. Mais S. Iean Baptiſte ſon Ambaſ­ſadeur plus expreſſement vn peu au­parauant ſon Bapteſme: Voicy, dit-il, au chap. 1. de l'Euangile ſelon S. Iean verſ. 29. montrant Ieſus Chriſt au doigt, l'Agneau de Dieu qui oſte les pechez du monde, rapportant à Ieſus Chriſt l'Agneau qui fut immolé en Egypte par le commandement de Dieu; afin que par le ſang d'iceluy les premiers nés des Iſraëlites fuſſent ga­rentis & deliurez de la main de l'An­ge qui deſtruiſoit les premiers nés d'Egypte; Et nous apprenant par ces paroles Euangeliques, que Ieſus Chriſt eſt le vray Agneau de Dieu qui oſte les pechez du monde, par le ſang duquel nous ſommes deliurez91 de la main tyrannique du Pharao ſpi­rituel, qui eſt le Diable: le Pere luy rendit auſſi teſmoignage du Palais de ſa gloire lors qu'il fut baptiſé, en­uoyant ſon ſaint Eſprit qui repoſa ſur luy en forme viſible d'vne Colombe, & encore lors de la Transfiguration. D'abondant la Mer, le Vent, & la Terre luy ont rendu teſmoignage; le Vent & la Mer en ce qu'ils luy ont obey lors qu'il leur a commandé de ſe tenir coys; & la Terre en ce qu'elle luy a rendu ſes morts; Et en vn mot toutes les oeuures diuines & miracu­leuſes qu'il a faites ont teſmoigné de luy; Et s'il vous plaiſt me le permet­tre, Ie vous deduiray par ordre les choſes principales qu'il a faites & ac­complies à la gloire de Dieu, & pour noſtre ſalut.

Le P.

Nous ne ſçaurions mieux em­ployer le temps: mais deuant que paſſer outre, il m'a ſemblé que je de­uois vous auertir, que ſi en liſant ce92 Dialogue cette penſée vous vient en l'eſprit, que nous n'auons pas ſuiuy l'ordre des choſes; En ce que nous auons parlé de la mort de noſtre Sei­gneur deuant que de parler de ſa naiſſance, vous faſſiez reflexion ſur les doctrines, que nous auons trait­tées qui nous ont obligé d'en vſer de la ſorte: afin de montrer que par ſa mort nous auons eſté rachetez de la ruyne en laquelle nous ſommes tom­bez par la tranſgreſſion d'Adam; mais à preſent que les meſmes doctrines nous ramenent à ſon berceau, nous deuons ſuiure l'hiſtoire de ſa Conce­ption, de ſa Naiſſance, de ſa Mort, de ſa Reſurrection, & de ſon Aſcenſion à la dextre de ſon Pere, comme elle nous eſt deſcrite par les ſaints Euan­geliſtes, du moins les choſes plus im­portantes, qui peuuent nous con­duire à noſtre but. Commencez donc, mon fils, & voyons la naiſſance du monde nouueau & du grand Roy93 qui l'a renouuellé.

L'Enfant commence par quelques obſeruations qui doiuent eſtre remarquées, auparauant entrer en la narration de l'hiſtoire de la naiſ­ſance de noſtre Seigneur Ieſus Chriſt.

Le F.

Tout ainſi que Moyſe nous a deſcrit l'hiſtoire de la naiſſance du monde & de l'homme ancien, les ſaints Euangeliſtes nous ont auſſi ­crit l'hiſtoire de la naiſſance de Ieſus Chriſt qui eſt le nouuel homme, & du nouueau monde qui eſt l'Egliſe Chreſtienne, prefigurée par Eve no­ſtre premiere mere; & nous font voir que comme celle-là fut tirée du coſté d'Adam, celle-cy auſſia eſté tirée du coſté de noſtre Seigneur Ieſus Chriſt ſon eſpoux & ſon Sauueur. Et comme il eſt important de bien connoiſtre celuy que nous deuons receuoir pour chef & Sauueur, ces hommes ſaints nous ont appris par la deſcription qu'ils ont faite de la generation char­nelle & ſpirituelle de noſtre Seigneur94 Ieſus Chriſt, qu'il eſt vray Dieu & vray homme; homme pour mourir, & Dieu pour vaincre la mort & tous ſes autres ennemis. Et d'autant que S. Luc a eſté le plus exact, ſi je ne m'a­buſe, à nous deduire l'hiſtoire de ſa Conception, de ſa Naiſſance, de ſa Vie, de ſa Mort, de ſa Reſurrection & de ſon Aſcenſion à la dextre de ſon Pere, je le prendray pour guide en la narration que je m'en vais faire; aux paroles duquel je m'attacheray, & lors que le teſmoignage des autres Euangeliſtes ou des Prophetes me ſera neceſſaire, je les appelleray à mon ſecours.

Hiſtoire de la Conception, Naiſſance, Vie, Mort, & Reſurrection de noſtre Seigneur Ieſus Chriſt.

SAint Luc commence ſon Euan­gile par vne deſcription de la Conception & de la Naiſſance mira­culeuſe de S. Iean Baptiſte predite95 par Malachie chap. 4. la Prophetie duquel eſt rapportée par S. Luc au 7. verſet du premier chapitre de ſon Euangile, il eſt dit que S. Iean Ba­ptiſte ira deuant Ieſus Chriſt en l'eſ­prit & vertu d'Elie, afin qu'il luy pre­pare vn peuple bien ordō; & apres auoir ainſi parlé de l'Ambaſſadeur, il commence l'hiſtoire du grand Roy en cette ſorte.

Or au ſixiéme mois dit l'Euangeli­ſte au meſme chapitre, l'Ange Ga­briel fut enuoyé de Dieu en vne ville de Galilée, nommé Nazareth, vers vne Vierge nommée Marie, fiancée à vn homme qui eſtoit de la maiſon de Dauid, qui auoit nom Ioſeph, à la­quelle apres l'auoir ſaluée, il annonça la Conception de noſtre Seigneur Ieſus Chriſt en cette ſorte. Voicy, dit l'Ange à la Vierge aux 31. 32. & 33. ver­ſets du chapitre premier de ſon Euan­gile, Tu conceuras en ton ventre & enfanteras vn Fils & appelleras ſon96 nom, Ieſus, car il ſauuera ſon peuple de ſes pechez, ajoûte S. Matthieu au chap. 1. de ſon Euangile verſ. 21. ice­luy ſera grand & ſera appellé Fils du Souuerain, & le Seigneur luy donne­ra le throſne de Dauid ſon Pere, il re­gnera ſur la maiſon de Iacob eternel­lement, & n'y aura nulle fin en ſon regne; Et ſur la difficulté que la Vier­ge Marie luy propoſa, à cauſe qu'elle ne connoiſſoit, ou ne connoiſtroit point d'homme, l'Ange luy apprit vn Myſtere auparauant inconnu. Le S. Eſprit, luy dit-il au verſ. 35. ſuruiendra en toy & la vertu du Souuerain t'en­ombrera; dont cela auſſi qui naiſtra de toy Saint, ſera appellé le Fils de Dieu: le tout afin que fuſt accomply ce dont auoit eſté parlé par Eſaye le Prophete; Voicy, vne Vierge ſera en­ceinte & enfantera vn fils & appelle­ront ſon nom Emanuel, qui vaut au­tant à dire, que Dieu auec nous; Matth. 1. verſ. 21.22. & 23. ô Diuin97 Sauueur appren nous à comprendre & à receuoir auec obeïſſance de foy cette diuine merueille, ce grand ſe­cret de pieté, Dieu manifeſté en chair, juſtifié en eſprit, veu des An­ges, preſché aux Gentils, creu au monde & enleué en gloire; puis que ſuiuant ta Parole, c'eſt le moyen d'e­ſtre bien-heureux: Car j'eſtime que ce qui fut dit par la mere de S. Iean Baptiſte à la Vierge Marie, peut eſtre rapporté & adapté à tous les croyans; Bien-heureux ſont ceux qui ont creu, car les promeſſes qui leur ont eſté faites auront leur accompliſſement, Luc 1. verſ. 25.

Saint Luc continuant le fil de ſon hiſtoire parle de la naiſſance de Ieſus Chriſt en Bethléem ſuiuant la Pro­phetie de Michée: Et au ſeptiéme verſet du ſecond chapitre de ſon Euangile il dit, que la Vierge Marie enfanta ſon Fils premier , qu'elle l'emmaillota & le coucha dans vne98 creche à cauſe qu'il n'y auoit point de place pour eux en l'hoſtellerie; pour nous apprendre qu'il eſtoit le meſpriſé entre les hommes. Mais pour releuer noſtre eſperance & éclairer noſtre foy, il ajoûte aux ver­ſets 10.11. & 12. que l'Ange de Dieu annonça ſa naiſſance aux Bergers: Aujourd'huy, leur dit l'Ange, vous eſt le Sauueur qui eſt Chriſt le Sei­gneur, & pour enſeigne vous le trou­uerez dans vne creche enueloppé de bandelettes; Et au 13. verſet qu'auec l'Ange il y eut vne multitude d'ar­mées celeſtes chantans & loüans Dieu; Au verſet 14. il recite le Canti­que des Anges que je veux chanter auſſi en cet endroit pour teſmoigner ma Communion aux eux. Gloire ſoit à Dieu és lieux tres-hauts, en terre paix enuers les hommes bonne vo­lonté, ou aux hommes de bonne vo­lonté ou de bon plaiſir; Au 21. il dit que les huit jours pour circoncir l'en­fant99 eſtant accomplis, il fut nommé Ieſus, comme l'Ange en auoit parlé auparauant ſa conception; Au 22. & aux ſuiuans juſqu'au 25. il fait men­tion du voyage de la Vierge Marie en Ieruſalem, pour le preſenter à Dieu ſuiuant ce qui auoit eſté eſcrit en la Loy, que tout maſle ouurant la ma­trice ſeroit appellé faint au Seigneur, & pour offrir l'oblation ſçauoir vne paire de tourterelles ou deux pigeon­neaux: Aux 28.29.30.31. & 32. il reci­re la reception que Simeon pouſſé & éclairé par le S. Eſprit luy fit dans le Temple & le teſmoignage qu'il luy rendit, lequel compoſa cet excellent Cantique que l'Egliſe chante ſou­uent, & que je veux reciter en cet endroit, pour teſmoigner ma joye & faire voir ma Communion auec les fi­deles qui ont creu & croyent en Ieſus Chriſt. Seigneur laiſſe maintenant aller ton ſeruiteur en paix, puis que mes yeux ont veu ton Salut, Salut100 que tu as preparé pour eſtre mis de­uant tous peuples, pour eſtre lumiere des Gentils, & la Gloire d'Iſraël. Saint Matthieu ajoûté au chap. 2. de ſon Euangile qu'il vint des Sages d'O­rient pour luy faire hommage, gui­dez & conduits par vne eſtoile que la Sageſſe de Dieu auoit formée pour cet effet, & qu'apres l'auoir adoré ils luy preſenterent des dons, ſçauoir de l'Or, de l'Encens & de la Myrrhe, comme ſi la prouidence de Dieu les euſt conduits pour apporter à Ioſeph dequoy ſe ſubuenir pendant le voya­ge qu'il eſtoit obligé de faire en Egy­pte; afin que la Prophetie d'Oſée fut accomplie chap. 11. verſ. 1. Et au chap. 3. Saint Luc parle du Bapteſme de Ie­ſus Chriſt, & aux verſets 21. & 22. il dit, qu'ayant eſté baptizé & priant, le Ciel s'ouurit, & que le S. Eſprit deſ­cendit ſur luy en forme d'vne Colom­be, & qu'il y eut vne voix du Ciel, diſant, Tu es mon Fils bien aymé, j'ay101 pris en toy mon bon plaiſir: Ce qui fait voir fort clairement, que ce Fils de Marie conceu du S. Eſprit, dont la naiſſance auoit eſté annoncée par les Anges, ſur lequel l'Eſprit eſtoit deſcendu, & auquel Simeon & Anne auoient rendu teſmoignage, eſt cet enfant admirable dont auoit eſté par­ par Eſaye chap. 9. verſ. 5. & encore ce rejetton qui deuoit ſortir du tronc d'Eſaye ſur lequel l'Eſprit de l'Eter­ternel deuoit repoſer. Eſaye 11. verſ. 1. & 2. Et de fait S. Luc nous apprend que noſtre Seigneur Ieſus Chriſt en la premiere Predication qu'il fit en la ville de Nazareth s'appliqua la Pro­phetie d'Eſaye contenuë au chap. 61. de ſes Reuelations, l'Eſprit du Sei­gneur eſt ſur moy, d'autant qu'il m'a oinct, il m'a enuoyé pour euangeliſer aux pauures, pour guerir ceux qui ont le coeur froiſſé, pour publier de­liurance aux captifs & aux aueugles le recouurement de la veuë, pour deli­urer102 ceux qui ſont foulez, & publier l'an agreable du Seigneur, & qu'il dit à ſes auditeurs: Aujourd'huy cette Eſcriture eſt accomplie vous l'oyans. Luc 4. verſ. 18.19. & 21. Et lors que S. Iean Baptiſte luy enuoya demander de la priſon il eſtoit detenu par Herode, s'il eſtoit celuy qui deuoit venir, ou s'il falloit en attendre vn autre, Il dit à ſes Diſciples, Allez & rapportez à Iean les choſes que vous voyez & oyez. Les aueugles recou­urent la veuë, les boiteux cheminent, les lepreux ſont nettoyez, les ſourds oyent, les morts ſont reſſuſcitez, l'E­uangile eſt annoncée aux pauures, & bien-heureux eſt celuy qui ne ſera point ſcandalizé en moy. Matth. 11. verſ. 2.3.4.5. & 6. Il ne leur dit pas abſolument, comme à la Samaritaine qu'il eſtoit celuy qui deuoit venir; Mais il le leur donna à entendre par les miracles qu'il fit en leur preſence. Pour moy je ne doute nullement que103 S. Iean ne fut à meſme temps perſua­ & reſolu qu'il n'en falloit point at­tendre d'autre; & lors que je conſi­dere que noſtre Seigneur Ieſus Chriſt a non ſeulement fait ces merueilles, mais qu'il a donné pouuoir à ſes Diſ­ciples de faire pareilles & ſemblables choſes, qu'il a commandé aux vents, à la mer, aux poiſſons, à l'enfer & à la mort, & que toutes choſes luy ont obeï: je crois de coeur & confeſſe de bouche auec tous les fideles, qu'il eſt la ſemence promiſe qui a briſé la teſte du ſerpent en laquelle ſont benites toutes les families de la terre, le germe de l'Eternel, le Dieu fort & puiſſant, le Pere d'eternité, le Prince de Paix, dont Eſaye auoit parlé au chap. 9. de ſa Prophetie verſ. 5. Bref cet enfant admirable qui eſt la perfection du Ciel & de la Terre, duquel le Pere nous a dit, Cettuy-cy eſt mon Fils bien aymé auquel j'ay pris mon bon plaiſir, Eſcoutez-le. Matt. 17. verſ. 5.

104

Au ſurplus les Euangeliſtes con­uiennent de ſa vie ſainte, religieuſe & innocente, & par le recit qu'ils ont fait des choſes qu'il a faites & accom­plies de ſa doctrine, de ſes miracles, & de ſes deliurances qu'il a données à tous ceux qui ont eu recours à ſa bon­; ils nous font connoiſtre ſa Puiſ­ſance diuine, ſa Sageſſe eternelle, ſa debonnaireté & l'amour ardente qu'il nous porte; C'eſt pourquoy il me ſemble qu'il n'eſt pas neceſſaire de les reciter en cet endroit puis que chacun les peut voir dans les liures des ſaints Euangeliſtes. Ie viendray donc à ſes ſouffrances, & montreray comment il s'eſt diſpoſé à la mort, apres je parleray des choſes qui luy ſont arriuées pendant ſes angoiſſes, & de ce qu'il a fait apres ſa reſurre­ction juſqu'au jour qu'il eſt monté en haut pour prendre ſa place dans le Ciel au trône de ſa gloire

105

Le Pere acquieſce à la propoſition de l'Enfant, & pour l'inſtruire ſur toutes les circonſtances de la mort de noſtre Seigneur, luy demande ſi ce n'eſt pas choſe mal conuenable à la Iuſtice du Pere d'auoir liuré à la mort ſon Fils bien­aimé, Saint, Innocent & Iuſte, pour des mi­ſerables pecheurs.

Le P.

Vous faites bien d'abreger en cet endroit l'hiſtoire de la vie de noſtre Seigneur Ieſus Chriſt, puis que les ſaints Euangeliſtes l'ont recueil­lie & deſcrite auec tant de ſoin & de lumiere qu'il eſt impoſſible de plus. Ainſi en ont vſé ceux qui ont compo­ſé le Symbole des Apoſtres; Car de la naiſſance de noſtre Seigneur Ieſus Chriſt ils ſont venus à ſes ſouffrances. Venons donc à ſa mort, puis que nous y trouuons noſtre vie: mais au­parauant vuidons quelques difficul­tez qui ſe preſentent ſur ce qu'au­cuns mettent en auant qu'il ſemble que c'eſt choſe mal-ſeante & mal con­uenable à la juſtice du Pere, d'auoir liuré à la mort ſon Fils bien-aymé,106 Saint, Innocent & Iuſte pour des mi­ſerables pecheurs; veu qu'entre les hommes il n'y a point de Iuge ſi in­juſte, qui à ſon eſcient vouluſt faire ſouffrir à vn innocent la peine de mort qu'vn ou pluſieurs meſchans auroient meritée, qu'en dites vous?

L'Enfant reſpond qu'il n'y a rien de mal conue­nable en cette diſpenſation, & que par ce tranſport, Dieu a fait connoiſtre ſa puiſſance diuine, ſa Sageſſe eternelle, & l'amour qu'il nous porte.

Le F.

Bien loin certes d'y auoir quelque choſe de mal conuenable au tranſport que noſtre bon Seigneur a fait de la peine que nous auions meritée à cauſe de nos pechez ſur la perſonne de ſon Fils; qu'au contraire par cette diſpenſation il nous a mani­feſté & fait connoiſtre ſa Puiſſance, ſa Sageſſe, ſa Iuſtice, ſa Miſericorde & l'amour qu'il nous porte: car il falloit de toute neceſſité, ou que les hom­mes demeuraſſent en la mort eternel­le107 ou que le Fils de Dieu l'a ſouffrit pour eux; Veu qu'il n'y auoit point d'autre moyen au Ciel ny en la Terre pour les deliurer. Le Pere donc par ſa Sageſſe admirable a tranſporté la pei­ne que nous auions meritée par nos rebellions, ſur ſon bien aymé, & à nous, il nous impute ſon Obeïſſance, le Merite de ſa Mort & Paſſion. Le Fils de ſa part s'eſt chargé de nos pe­chez, s'eſt offert volontairement à la mort pour nous, & par ſa mort nous a déliurez de la mort; Et comme il eſt le Prince de Vie, il a rompu les liens de la mort, a repris ſa Vie, nous a reſ­ſuſcitez auec luy, & par ſa puiſſance diuine nous renouuelle & ſanctifie; & de meſchans que nous eſtions, il nous rend juſtes & ſaints: De ſorte que ſi dans vne ville il ſe trouuoit quelqu'vn qui euſt le pouuoir de por­ter la peine d'autruy, de ſurmonter la mort, de ſe reſſuſciter ſoy-meſme, de changer & renouueller les autres108 & de méchans les rendre bons, juſtes & equitables; ce ſeroit vn acte de ju­ſtice de tranſporter la peine que les meſchans auroient meritée ſur celuy qui ſeroit doüé d'vne telle vertu; par­ce qu'il en reuiendroit vn grand bien au public & au particulier.

Le Pere fait vne autre demande à l'Enfant, ſur ce qu'aucuns ſe diſans Chreſtiens mettent en auant, que Ieſus Chriſt pouuoit nous rache­ter & ſatisfaire la Iuſtice de Dieu par vne ſeule gouttede ſon ſang.

Le P.

Ce que vous dites eſt veritable, & j'auouë que nous auons grand ſujet d'admirer & d'adorer la Puiſſance, la Sageſſe & la Bonté de Dieu pour la grace qu'il nous a faite de tranſporter la peine que nous auions meritée, ſur ſon bien-aymé; puis que par ſa mort il a nous deliurer de la mort, & nous meriter la vie, & apres ſe reſſuſ­ſciter ſoy meſme, nous reſſuſciter auec luy, & de meſchans que nous eſtions nous rendre ſaints, innocens109 & juſtes. A Dieu donc Pere, Fils & S. Eſprit, ſoit honneur & gloire és ſie­cles des ſiecles. Mais il y en a encore d'autres, autant ou plus extrauagants que ces premiers, leſquels faiſant ſemblant d'exalter le merite de la Mort & Paſſion de noſtre