Comme la vye humaine est devisee en deux menbres (qui sont la vye active et contemplative) et que pour parvenir a beatitude qui est la fin a quoy toutte2v humaine creature est créé il est besoing et neccessaire que ces deux vyes soient bien ordonnees emsamble en la personne raisonnable — car la vye active embrase la personne en l’amour de son proisme pour acomplir les oeuvres de misericorde tant3r corporelles comme espirituelles et refraint et reboutte les concupicences de l’apetit sensitif ad ce que raison et entendement ayent franc et liberal ouvraige es choses contemplatives et divines pour contempler et plus clerement veoyr la fin3v espirituelle a quoy elle est ordonnee (qui est la seconde vye qui est ditte la vye contemplative), et pour ce que ailleurs ay translaté une compilacion des oeuvres de misericorde intitulee, Bieneuureux seront les misericordieux, j’ay empris cest present4r ouvraige a la requeste de tres puissant et excellente Dame et Princesse, Marguerite d’Yorck, femme et espeuse de Charles, par la grace de Dieu duc de Bourgongne, de Lother, de Brabant, de Lembourg, de Lucembourg, et de Guldres, conte de Flandres, d’Artoit4v de Bourgongne, palatin de Haynault, de Hollande, de Zellande, de Namur, et de Zutephene, Marquis du Saint Empire, Seigneur de Frise, de Salins et de Malines etc., lequel ouvrage conduit et maine a la vye contemplative et est intitulé Le dyalogue5r de la duchesse de Bourgongne a Jhesu Crist.
Mon Dieu, mon createur et mon redempteur, enlumine mes yeulx interiores, est assavoir l’entendement et raison, foy et consideracion de mon ame adfin que je ne me endorme5v en la mort de pechié en consentant a quelque temptacion ou coulpe mortelle, ains me endorme en toy, mon souverain et invariable Dieu, a la paix de mon ceur et de ma conscience et soye delivré des curiosités de cestuy monde, adfin que6r doulcement je puisse reposer en esperance de contemplacion de la felicité advenir, et en la saveur et pregustacion de la gloire eternelle, apparreillié des le commencement du monde a tous tes benois esleus. En verité, mon Dieu, je fons et ja est a6v la porte prest le tamps de ma resolucion, car le tamps de la vye humaine est brief. O pure et infinie bonté, o beaulté sans mesure, tres delicieuse, o mon createur et sauveur et juges de mon ame et de mon corps et de tout le monde, embrase mon ceur en toy7r que il tende et dresche mon desire en toy comme le cerf lassé et eschauffé tent aux yauues, fontaines, et ruissiaux courans.
Je suis celluy qui ay dit en l ‘Apocalipse: ‘je attens a l’huis du ceur et sy buche adfin que se on me oeuvre l’huis, je y entre et7v souppe avec luy’. Et tu, Dame, maintenant m’as ouverte ta pensee et tant affectueusement m’as invité a la chambrette de ton ceur, en moy priant instamment que te vaulsisse emflamber et fayre tendre ton desir a moy a la samblance du cerf ayant soif et soupirer8r pour moy veoyr, Roy des roys, en la beauté et gloire de mon excellence, pourquoy volentiers te exaucheray. J’enteray en ton ceur et mengeray avec toy et seray repeu et refectioné de ta devocion. Et ainsy te ottroieray gouster la grandeur de ma doulceur8v sans fin adfin que tu contempnes et mesprises pour mon amour toutte dilection charnelle et consolacion mondaine et que de toutte l’affection de ton ceur tu respire, tende, et te haste a la plaine et beatificque fruicion de la doulceur incréé et eternelle.
9rMon Dieu et mon seigneur, tu soyez benoys et loés qui te rens tant gracieux et begnin envers ta povre creature, banie de ton royalme et pourtant, mon tres souverain seigneur, ne me veulle appeller Dame mais a la mienne voulenté puisse estre appellee ton ancelle9v et te prie que tu me enseigne par ton ayde comment devray preparer mon ceur pour toy devotement recepvoir a ta inhabitacion et tres digne et delicieuse refection.
Ma fille, tu as longtamps esté et es encorez en cestuy monde grant Dame, seur Edouuart,10r roy d’Engleterre, femme et espeuse de Charles, duc de Bourgongne etc., et a present tu fais tres sagement car tu te applicques du tout a devocion et aux choses espirituelles en delaisant autant qu’il est licite touttes ponpes terriennes et aornemens, seignouriez10v et dominacions mondaines, et es et converses plus avec les personnes devotes et religieuses observans leurs rigles que avec les princes et barons.
Tu as accrut mon service divin et fait fayre habitacions a demourer a tres religieuses et feablez personnes11r et leur a pourveu leurs neccessitez. Perseveres en saintes oeuvres et parfay ce que tu as salutairement conceu, et je te donray la gloire et l’onneur du royalme celeste sans fin, et cy aprés te responderay en brief ad ce que humainement tu as11v demandé.
Ma fille, n’as tu pas oy que ceste femme sunamite, tant venerable et saige, dist a son mary de Helisee12r le prophete: ‘regarde’, dist elle, ‘que cestuy homme qui passe souvent par cy est saint homme de Dieu. Faisons luy une chambre et y mettons lit, table, selle et chandelier adfin qu’il demeure ycy’. Pareillement fay moy une chambre ou millieu de ton ceur, c’est a dire12v liberalité et virtu de hospitalité par laquelle avec saint Martin et saintte Elizabeth, fille de roy, tu puisse complaire a Dieu mon pere et a moy. Et en ceste chambre demouray voulentiers avec toy. Car tout ce que tu aras fait a l’un de mes mendres serviteurs13r tu le me fais. Car j’ayme celuy qui donne joyeusement et liberalement, et a telle mesure que tu mesureras aultruy je te mesureray.
Et en aprés en ceste chambre espirituelle tu m’y metteras ung lit, c’est a entendre nette conscience en laquelle13v je reposeray avec toy, duquel lit l’espouse chante es Canticques: ‘nostre lit est flourisant’. Ma fille, tu me appointes et prepares ce dit lit quant de tout ce que tu as remors de conscience, tantost tu le amendes et purges par contricion, confession et satis [f] acion. 14rEt est cestuy lit ung espirituel repos de dilection en moy, lequel nulle hayne, ire, impacience, ne nulles passions, ne multitude de impetueuse temptacion porra soullier, marchier, ne fouler.
Et en ce lit l’ame devote me embrache et estraint des bras14v de tres nette chasteté et vraye charité, c’est a dire des fervens desirs qu’elle a a moy, Dieu, et au salut d’elle et de son proisme. Et derechief cestuy lit est comtemplacion des choses divines quant la personne pense songneusement jour et nuit en la loy de Dieu, les15r merveillez, miracles, et misteres de la passion et charité du filz de Dieu, ses promesses et benefices. Qui se repose en ce dit lit avec moy combien qui soit encores emprisonnés de la char mortelle et encores banis de paradis, toutesfoys il a sa conversacion15v ou ciel.
Encore me dois tu mettre en ceste chambrette une table, c’est la saincte escripture, laquelle tu dois empraindre et mettre fermement en ton ceur et le retenir en ta memoire. Car il est escript: ‘benois sont ceulx qui oent la parolle de Dieu et le16r gardent en leur ceur et le mettent en oeuvre’. Et le psalmiste ausy dit: ‘j’ay muchié tes parolles en mon ceur adfin que ne pesche contre toy’. Et sur ceste table appartiennent quatre mez de viandez, ce sont les quatre sens d’entendre la saincte escripture. 16v
Et aultrement ceste ditte table est le sacrement de penitance en laquelle on mengue le pain de doleur et boit on le bruvaige de larmes et de pleurs. Item ceste table est l’autel du ceur, c’est a dire affectueuse et volu [n] taire recordacion de ma passion, en laquelle17r et sur laquelle vous offres a Dieu mon pere pour vous laver et en la remission de voz pechiéz mon precieux corps et sang, et espirituellement les buveres et mengeres.
Et la chaiere que tu dois appareillier a moy, Jhesu Crist, en ceste chambrette est ta consideracion17v de la puissance et auctorité de jugier qui m’est donnee et reservee de mon pere et a nul aultre. Pour ce il n’est nul qui doive presumer de jugier aultruy follement, car tous jugemens me sont ordonnés de mon pere, par quoy est perileuse chose de18r jugier aultruy legierement.
Le chandeler et la chandelle ardant est la vertu de discrecion enluminante de sa lumiere touttes les pensees du ceur, adfin que selon l’appostre tout le service soit fait ordonneement et raisonnablement. Item cestuy chandeler18v est ausy la ferme foy de l’ame enluminee de foy et verité divine. Item ausy le humble recongnoissance de soy meisme et le don de sapience, car Dieu ne aime ne habite avec nul s’il n’a sapience et congnoissance de son createur. Finablement pourtant que les vertus sont sy19r entrelachyés que l’en ne peult avoir parfaittement l’une sans l’autre, entant qui ara fait et acomply toutte la loy et failly en ung seul point ou commandement, il sera coulpable de toutte la loy. Pourquoy il te fault aorner ton ceur de touttes vertus, dons, et fruis du saint19v esperit pour moy appareillier convenable habitacion et refection et tousjours prouffiter et monter en saintité et es oeuvres de misericorde et example salutaire adfin que soyes bon oudeur devant ton Dieu et les hommes en tous lieux.
Journellement me viennent tant d’empeschemens contre pureté interiore et par dedens et tant d’obstacles contre saincte et espirituelle amour et dilection, tant de interrupcions20v contre divine contemplacion que je ne voy point la maniere comment je poray les choses dessus dittes acomplir. Car j’ay pluiseurs occupacions, et en aperchoy et voy pluiseurs et me rapport [e] on tant de besongnes, et finablement comment pouray jou ne deveray amer21r les ennemis du bien commun et les mesdisans et coulpables de mort d’aultruy?
Sans moy ne poez riens de bien fayre ne sans l’ayde de ma grace ne poes fayre oeuvre meritoire ne qui soit a mon pere aggreable, et que plus est sans mon ayde on21v ne peult penser ne parler, appeter ne disiser quelque bien. Toutesvoyes par moy et mon ayde qui suis tousjours prest de toy aidier tu peuls touttes choses fayre et acomplir mais que de tout ton ceur me pryes et requiers perseveranment. Or fay dont ce qu’en toy22r est et ne cesse point a orer. Et derechief les choses qui te sourviennent a oyr, ordonner, et a fayre, reduis les a une chose: a l’onneur de Dieu, a ton salut et au bien et utile commun, et destourne ton oye des parolles et choses inutiles, malvaises, vaines, et frivoles. Mais a22v chascune heure ordonnee sa occupacion, maintenant aux oeuvres espirituelles soyez ententive, et puis aux choses exteriores selon que vraye discrecion requiert.
Ayme espiritellement les mauvais et tes adversaires et prie pour leur amendement. Ayme les personnes23r et la bonne nature que moy, Dieu le tout puissant, ay créé a mon ymaige, mais hes leurs vices et pechiéz et ayes compacion de leurs erreu [r] s et perilz où il sont. Pense souvent que la presence du souverain Dieu te regarde continuellement et par ainsy23v ayez vergongne et crainte que tu n’ayez en toy aulcune chose indigne en la presence de son regart, et au mains se tu ne peuls ce fayre continuellement, sy le fays souvent et tres souvent convertis ta pensee a luy en le orant, loant, et cremant, et en considerant sa24r infinie bonté, beaulté, doulceur, et son excellence, par quoy ton ceur se eschauffe en son amour et en suspense par admiracion de sa majesté et de sa puissance, et le honneure de touttes tes forces et puissance en toutte humilité.
Vray est et tres salutaire24v ceste doctrine, mais il samble que au millieu du monde es maison des princes en la compaignie des noblez ne puist estre acomplye, cum il soit escript: ‘avec les pervers tu pervertiras’.
Je t’ay ja dit que ce se porra fayre par l’ayde de ma grace et tant25r plus legierement que la grace de mon saint esperit croistera ou ceur humain et en sa pensee, laquelle grace en toutte heure et moment peult touchier la pensee devote et cremeteuse et exciter, fortefier, enluminer et embraser, et de ce en as pluiseurs examples25v tant ou Vieux Testament comme au Nouviau dez princes et princesses, chanonisiés et aprouvés. Et pourquoy les nobles personnes et les princes, hommes et femmes, ne pouroient tant labourer a moy complaire qui font a complaire vainement et sans prouffit l’un26r a l’autre, veu que a moy servir mains a a fayre et est plus prouffitable sans comparison et se trouveroient aydiés a fayre ce que dit est?
Je confesse, Sire, que il soit ainsy mais grande est nostre fragillité et est tousjours encline a iniquité.
26vGrande pour vray est vostre perversité et malice quant ne pour mes manaches de dampnacion eternelle, ne pour mes promesses de joye et felice pardurable, ne pour mes benefices que largement donne sans nombre et pour consideracion que j’envoie27r a le foys de la briefveté, incertaineté, et fauseté de la vye presente, ne pour paour de mon tres rigoreux et destroit jugement, vous ne delaissiez vos pechiéz et ne retournes aux virtus. Et en oultre que merveilleuse et tres lamentable chose est et negligente consideracion27v que de vos preeminencez et seignouries vous voz eslevez en orgeul et oubliez et delaissies a penser que de tant plus avez de biens, d’autant devez estre humbles et craintifz et plus de gracez devez rendre a moy; et aussy d’otant que sus pluseurs estes28r eslevés de par moy et que grans benefices vous ay presté desquelz renderes raison a moy, souverain juge, d’autant plus estes a rechevoir dur jugement.
O juge tres haultain, quant grant peril et redoubtable est a pluiseurs estre en hault estat28v et prelacion, et meismement de grans duchéz, contéz, et pluiseurs aultres grans seignouriez.
De ce ay je parlé par la bouche d’un saige: ‘oyez, roys, princes et juges de la terre, car la puissance vous est donnee du seigneur qui interroguera voz29r oeuvres et vos pensees enquerra’. Car quant vous estiez administrateurs de son royame vous n’avez pas droitement jugié ne gardé la loy de justice, ne avez alé selon ma voulenté. Tot et horriblement vous apparra que tres cruel et tres dur jugement sera baillié aux presidens29v et prelas, et aux plus fors et puissans plus forte paine et tourment cruel, et au petit et fleve sera ottroyé misericorde, et les puissans soustenront puissanment les tourmens. En verité le seigneur de touttes chose ne redoubtera point ne craindera la grandeur30r de nulluy, car il est seigneur de tous.
Que feront doncques ceulx qui sont en prelacions et seignouriez?
Leurs ofices tendront et excerseront en grant soing et crainte de Dieu sans orgeul et vanité, prudentement et dilliganment et30v m’apelleront et invoqueront songneusement pour estre adrechiéz de mon saint esperit en tous leurs affayres et ne querront point leurs propres prouffis, delices, et honneurs mais tousjours le prouffit du bien conmun.
Comment prince ou31r princesse entre tant de richessez, libertés, et franchisses et foraines occupacions et honneurs porra sans cesser demourer soubz la crainte de Dieu et estre juste?
Ad ce te responderay en l’article prochainement ensievant.
Quy est cestuy qui appete et desire de presider et estre seigneur synon celuy qui ne poise pas quant horrible chose est de cheoir coupable es mains de Dieu le vivant? Et pour ce le prelat ou seigneur ne soit jamais sy occuppé au dehors es choses32v foraines que a le foys et du mains une foys le jour ne examine sa conscience devant Dieu, comment et s’il a fait ce a quoy il est tenus d’acomplir et de quoy il sera briefvement de moy tres redoubté et a tres redoubter et destroit juge. Et en ceste examinacion doit33r ung chascun regarder sa fin, est assavoir l’amertume et les angoisses de la mort, les perilz et temptacions qui adont sourviennent et se presentent. En aprés doit considerer la rigueur de mon tres destroit jugement, les paines d’enfer tres griefves et importables33v, et ausy les tourmens et supplices de purgatoire qui sourmontent touttes les paines de ceste presente vye, et d’aultre part est a considerer le inestimable gloire des princes et seigneurs justes, benois et esleus.
Aprés lequelles choses ainsy considerees34r est a penser tres dilligamment touttes les choses auxquelles on est obligié ad cause de son office et de l’estat de sa seignourie. Aussy est a considerer ses pechiéz et negligences en plorant et soy humiliant devant moy, en priant et requerant misericorde et demandant34v grace, prudence et aultres vertus pour fructueusement presider et justement vivre partout. Et adfin que plus legierement et de grant ceur on puisse mesprisier charneulx lez vanitéz du monde et les honneurs transitoires, on doit perfondement penser et ramener35r a sa memoire ma tres amgoiseuse et tres ignominieuse mort et passion que j’ay souffert pour abolyr les pechiéz et delivrer l’humain lingnaige de la debte a laquelle il estoit obligié et ne le pooit payer.
Item est a regarder comment Dieu et homme et seigneur35v de toute le monde ay conversé en cestuy monde en tres parfonde humilité et tres grande povreté et pascience, constance et inmuable, et en toutte doulceur et charité par quoy l’en se doit hontoyer de soy enfler et eslever par orgeul. Et derechief on doit savoir en ceste36r consideracion que d’autant que la dignité ou seignourie est plus grande et sus pluiseurs, d’autant doit on estre plus virtueux et estre fondés en humilité, laquelle est fondement et garde de touttes vertus.
Soit dont le prince tres humble de ceur et que il est de36v samblable nature et d’espece aux aultres povres gens ses subjetz, ains pluseurs povres et simples personnes sont meilleurs et plus virtueux, ayans les graces et dons du saint esperit plus que n’ayent les princes ou aultres ainsy esleus par dessus les aultres37r en la temporalité. Et ainsy on ne doit reputer les seignouries et offices que ung tres grif fardel et service de la communité et administracion du bien de la chose publicque. Car toutte seignourie est ordonnee a la paix et utilité des subgiéz et a ceste cause le pappe37v se escript en ses lettres appostoliques ‘le serf des serfz’. Et finablement puisque le prince est juge de pluiseurs et qu’il doit corrigier, chatoyer, et adrechier tous ceulx qui luy sont commis et subgiéz, il doit estre comme une loy vive et justice animee a tous examplaire,38r tousjours emflambé de jalouzie de justice entretenir, aorné de grande discrecion, sobre, debonnaire et non yreuz, ne hatif de bonne femme et renommee, et en touttes choses procedant par ordre.
Quant bieneureux est tel prince mais où le38v porra on trouver? Car helas tel ne me truve pas.
Estroite est la voye de salut et ne peult estre l’homme sauvés sans grande difficulté. N’est pas chose difficile de crucifier et mortifier sa char, ses vices et ses concupiscences, et aler contre sa sensualité39r et soy avoir virtueusement a tout bon example et vivre ou millieu de ceste nacion mauvaise et perverse? Et ainsy finablement d’otant que les personnes presidentes, seigneurs et dames et aultres prelas ont plus a fayre et ont plus de occasion de pechier, aussy39v leur est chose plus difficile de eulx garder de pechier. Et pour ceste cause ilz doivent incessaument avoir Dieu devant leurs yeulz et ses conmandemens et estre sus leur garde et craintifz et requerir l’aide de Dieu, laquelle chose se ilz le font, ilz seront en seureté. 40r
Mon tres redoubté seigneur, de ta bonté il te plaise a eulx et a moy ottroyer de ce fayre, et pour ta misericorde prevenir noz penseez et continuelement lez exciter et esveillier et gracieusement enluminer, et sans cesser les veulliez40v garder de fortefier. O mon tres digne sauveur, enseigne moy maintenant comme plainement tous les jours te poray plus devotement et plus plaisanment servir et honnourer, et comment me devray avoir en mes oroisons en tes loenges en ton41r temple et ou divin office, et ausy en confessant et conmuniant tant par dedens comme par dehors envers mes familiers et domestiques et tous aultres.
La peticion est piteuse et salutaire a laquelle te responderay par ordre.
Il n’est chose plus inique que quant la personne constituee en presidence ou seignourie veult et requiert42r estre servis de ses subgiés reveranment et songneusement et toutesfoys il n’est pas songneux de deuement et reveranment servir son createur, veu que Dieu eternel est tout puissant sans comparison et infiniement soit plus grant, plus saint et plus42v excellent sur tous les princes et seigneurs du monde. Regarde comment promptement et redoubteusement obeyssent a toy, servent, et se maintiengnent entour toy tes serviteurs, hommes et femmes nobles et puissans, et quant mal en gré tu prenderoys43r se l’un d’eux estoit inobedient a toy ou rebelle. Par quoy pense en toy meismez que reveranment, obeyssanment, et humblement il te convient moy pryer, invoquier, loer, et honnorer qui suis Dieu et seigneur sur toutte seignourye.
En verité, comme dit le prophete,43v ‘mauldit soit celuy qui fait l’oeuvre de Dieu negliganment’. Et David dit: ‘mauldis sont ceulx qui delaissent et declinent mes commandemens’. Et pourtant devant ton oroison prepare ton ame pour prier attentivement, craintivement, et affectueusement44r en rotant de ton ceur les pensees mondaines, vaines et inutiles, en considerant ausy la povreté et perilz de ton ame et la fin de ta vye. Et ausy considere par avant que faches ton oroison tez deffaultes, ta faiblesse, ta debilité de nature et tes pechiéz;44v aussy d’aultre part la excellente pitié et justice de Dieu, affin que par consideracion de mon excellente justice et misericorde tu me priras et oreras en grant reverence, crainte, et confidence de obtenir pardon et misericorde.
Aussy tu dois bien ton ceur garder45r en me pryant et entendre ad ce que tu me pries et requiers veu que suis en ta presence. Regarde et prens example comment les malfaitteurs dignes de mort prient les princes et juges terriens, se ilz ont quelque esperance de eschapper; lesquelz coulpables45v de mort temporelle, se ilz prient tant piteusement et humblement en pleurs et souspirs pour eschapper la mort temporelle, le pecheur donc qui tant de foys a pechié mortellement et deservy la mort eternelle doit tres ferventement en pleurs, en compunction de ceur46r invoquier et prier le souverain juge pour estre delivrés de la dampnacion perpetuelle de infer.
Oultre plus en moy loant tu dois considerer ma infinie sapience, omnipotence, bonté, misericorde, justice, et perfection incomprehensible en touttes choses46v et scavoir dois ta indigne et insouffissante faculté a moy loer. Et ainsy de tout ton ceur me dois loer en toutte humilité, joye, desir, et lyesse espirituelle, sy que tu te resjoyse grandement de sy grande beatitude, sapience, et eminence de moy ton createur47r et sauveur, et desires que soye deuement honorés, cremu, amés, et orés de touttes personnes.
O tres puissant et tres excellent seigneur, helas que moy imparfaitte et desfaillant suis loings de ceste espiritualité. Ayde moy, mon doulz Dieu47v et seigneur, donne moy constance et fermeté en mes oroisons et en tes loenges. Car je ne croy point ces poins ycy povoir acomplir de ceulx qui sont es cours des princes et palais des ducz et des roys et es haultaines seignouriez sans le misericordieux et48r tres especial et continuel ayde de ta grace.
Je t’ay ja dit dessus comment les princes, officiers, et prelas es dittes choses se doivent avoir et maintenir.
Il est ainsy, mon Dieu et mon souverain seigneur, et pourtant enseigne moy maintenant comment me doy maintenir et avoir48v en l’eglise et ou service divin et es celebracions des messes, et non pas moy tant seulement qui suis ja de bon eage, mais ausy les jones damoiselles qui leur est neccessaire pour leur salut.
On ne doit es eglises consacrees pour le service divin fayre aultre chose fors ce pourquoy et a quoy elles sont faittes et consacrees, et pourtant touttes confabulacions, ponpes et vanités, faulz regars et indecentes manieres49v sont souverainement a eviter et fuyr. Pourquoy peschent grifment ceulx qui se ornent et habillent curieusement pour illec complaire aux hommes et qui vont aux eglises ad ce qu’ilz soyent veus et que ilz facent regars impudicques et effrontés. 50rTout bon chretien estant en l’eglise se doit receullier et son ceur unir et joindre a son createur en le orant et priant ferventement et loant devotement, en pensant choses salutaires et refrener prudentement ses yeulx tant exteriores comme50v interiores.
Et puis a la messe sy doit ramener a sa memoire et receullier ma tres amere passion au pardedens en grant amertume et compassion que moy, filz unic de Dieu le pere eternel, ay tant fait et souffert pour ta redempcion et salut. 51rEt ainsy on se doit embraser et emflamber a eviter tout ce qui pouroit tourner ne estre contre mon honneur et qui me pouroit offenser, a ensievir mon humilité, pacience, et charité. Et combien que en tous lieux soyez en ma divine presence51v) tout clervoyant par quoy tu te dois en crainte de moy offenser avoir et maintenir devotement et reveranment, mais trop plus principalement en l’eglise et en l’office divin, et que ne soyes cause d’empeschement et aucunement toy hontoier52r de indecentement toy avoir en la presence de ton createur.
Sy comme tu es tenue de amer Dieu de tout ton ceur par dessus touttes52v choses, ainsy es tu tenue de non le offenser ne de le delaissier pour quelque chose. Et souverainement deverois estre dolente se tu pechoies mortellement, mieulx amant morir, soustenir, et souffrir tous damaiges que pechier mortellement. Car ce requiert53r la charité de Dieu par laquelle ung chascun est obligiés sans comparison de plus amer Dieu que quelque creature ne soy meisme, aultrement ne seroit ce pas vraye contricion ne vraye charité.
Quant dont tu te veulz confesser, premiers tu dois diliganment53v examiner ta conscience et avoir plain propos de entierement toy amender et dire tous tes pechiéz et ung chascun d’eulx, lesquelz tu as fait contre les commandemens de Dieu et de saint eglise en sept pechiéz morteux par tez sens exteriores et interiores,54r par mauvaises pensees et affections, et aussy en aultres manieres, comme de danses et jus vains et publicques, faulx regars, et aussy par ponpes de aornemens de corps et vestures precieuses, superflues et provocans a orgeul et aultre pechié, en quoy tu as54v autant qu’en toy estoit scandalizié et baillé occasion de pechié a aultruy, lequel tu deusse avoir corrigié se ainsy l’eusse veu errer et defaillir. Et pareillement en parolles wiseuses ou detractivez et aultres innumerables deffaulx as excedé et t’en rendz55r coupable, lesquelles choses ainsy confessees et aultres selon le jugement de ta conscience tu dois en tamps deu et oportun aler au saint sacrement de l’autel, en pensant sagement et dilliganment la dignité de tant grant et tres saint sacrement et recongnoissant55v humblement en grant et amere contricion ta indigne fragillité et impuissance.
Et aprés ceste saincte communion pense de demourer devotement aggreable a Dieu et en sa garde et considere la debonnaire charité de moy, ton sauveur et redempteur, par56r laquelle il me plest ainsy moy a toy donner, joindre et unir pourquoy tu ne dois pas desprisier ne dejetter les povres malades et les debouttés, mais les dois beau parler et affectueusement consoler.
Il est a considerer et doubter principalement aux nobles que touttes personnes curieusement et orneement soy vestant, et a ceste fin que par son ornement provoque57r et attraye les yeux d’aultruy et ja soit ce que nul mal n’en viengne, toutesfoys il en souffrira paine eternelle car il a baillé et aministré le venin se aulcun l’euist beu et que on euist peu boire. Car chascun est tenu de ediffier son prochain et non pas57v tyrer a concupiscence et transgression de faire ce qui n’est licite.
Que diront dont et que responderont a moy, souverain juge, ceulx et celles qui deveront estre pugnis horriblement et qui a ceste cause et intencion se sont aornés et atournés adfin58r qu’ilz ou qu’elles soient jugiés belles et qu’elles plaisent et soient convoitiés impudiquement d’aultrez que de leurs maris? Et combien que [on] lit que aulcunes nobles personnes ayent sainctement et virtueusement usé de precieux vestemens et atours58v d’or et d’argent et de pierries, non pas toutesfoys par vanité et perverse intencion et orgeul et desordonnance comme dit est, tu qui es la premiere entre les aultres donne example aux aultres en vestures, dis, fais, parolles, et meurs, si que soyes l’examplaire59r de toutte honnesteté et virtu. Corrige ordonneement et instruis sagement les desfaillans et trespassans mesure, car comme pour le trespas du conmandement de vivre castement et attrempreement pluiseurs et sans nombre sont peris59v et perissent tous les jours et sont dampnés dont c’est pitié.
Ainsy pour le trespas du commandement de correccion fraternelle qui est de tres peu de gens acomplis deuement, entens que dit l’apostre: ‘se aulcun et meismement de ses domestiques et subgiéz60r et famile n’a cure, il a renyé la foy et est pieur que ung payen et infidel’. Finablement d’otant que plus de biens s’ensievent de morale et examplaire conversacion et gouvernement de nobles et seigneurs et de leur lingnié et famile, aussy d’autant60v les parens et seigneurs doivent plus songneusement pourveoir a leurs enffans en leur jonesse et toutte honesteté de meurs, sciences, et vertus, et les fayre instruire de savoir bien parler et distincteement a ceulx de leur famile aussy.
62rMon tres reverend maistre Dieu et seigneur, tu m’as en brief enseigné de ce que t’avoie prié et d’otant que puis aperchevoir comme les estas des chretiens sont deformés en pluiseurs manieres et eslongiéz de raison en tant que pluiseurs et griefz abus, excez, vanités62v et crudelitéz si sont entremerlés presque en tous degrés, ordre, et estat, tant en la secularité comme en l’espiritualité et en aulcunes religions, ainsy est en l’estat des princes et princesses et nobles personnes et de leurs serviteurs et familliers.
Et a63r briefment dire ce que il m’en samble a paine puis entendre comment du nombre d’iceulx peult eschapper aulcun de dampnacion. Car lequel d’eux est qui estudie a estre humble, a chastier son corps? Et peu sont qui gardent les junes conmandees de l’eglise,63v ja soit ce qu’ilz aient pluiseurs manieres de mes de viandes pour eulx souffissanment remplir et refectioner. Lequel d’eulx vacque et se donne a plourer ses pechiéz et deffaultez et soy remplir de bonnes pensees de penser a [t] a passion? 64rLequel d’eulx est content de simple vesture? Et lequel d’eux met son intencion et fait toutte dilligence de complaire a Dieu non aux hommes ou creatures?
En tous estas communement ay aulcuns qui me complaisent et plus en64v ung que en l’autre. Mais en l’estat des nobles ainsy est communement comme tu as dit dessus, et encores pluiseurs aultres pechiéz et perieulx car nonobstant la deffence de saincte eglise ilz sont et excercent es cités et villes tournois, joustes et aultres65r telz vanités, esquelz aviennent pechiéz sans nombre ausquelz sont participans les asistens et regardans par consentement ou ayde. Et quelle merveille est se l’on treuve tant grande deformité et desrieulance es cours et maisons des princes et des nobles65v car la où habondent richesses, delices et honneurs viennent encore pluiseurs aultres maulx.
Dont samble que leurs pechiéz et maulx soyent en grant partie alligiéz et a excuser.
De tant que ilz ont pluiseurs et grans benefices et66r qu’ilz sont en plus hault estat et grande dignité esleus et que pluiseurs sont escandelisiéz et mal ediffiés de leurs vies et publicques pechiéz, de tant sont leurs pechiéz plus grans, ja soit ce que aulcuns mendres pechiéz et mains principaulx poroient estre alegieris66v et a plus legierement pardonner pour les causes dessus dittes.
Mon seigneur, mon Dieu, je te demande maintenant que tu m’enseignes comment en mon secret me devray applicquier venir et offrir a toy.
Et je le t’enseigneray.
Si comme dit l’escripture le juste vit par foy, le commencement dont de vye salutaire est d’estre fort et constant en la foy, mais foy sans bonnes oeuvres est morte67v en soy meisme, laquelle dont doit estre informee de charité ardante, laquelle ne scet estre wiseuse et pourtant foy sans charité est imparfaitte et n’est belle ne a Dieu plaisant ne a quelque oeuvre meritoire de vye eternelle. Mais aprés ce que on est cheu en pechié mortel68r le commenchement a Dieu de vye aggreable et acceptable est confession de ses propres pechiéz et iniquitéz. Et pour ce qui veult complaire a Dieu il est de neccessité de vivre sans pechié mortel.
Mon seigneur et mon Dieu, la personne quy68v a pechié mortellement ne peult elle estre purgié de son pechié mortel ne reconseillé a Dieu se premiers n’a confessé son pechié? Il samble que non par ce que dit est: le commenchement de bonne oeuvre et de vye aggreable69r est confession de ses propres pechiéz.
Ma fille et amye, en quelque heure le pecheur par vraye contricion et repentance a doleur et amertume de son pechié et propose de soy confesser a son confesseur en tamps et en lieu opportun, son pechié luy est delaissié quant69v a la coulpe. Toutesfoys il doit satisfayre selon l’arbitre et jugement de son confesseur tant a Dieu comme a l’eglise et son proisme, etc., synon par adventure que la contricion fust sy grande et vehemente qu’elle souffiroit pour tollir et abolir la coulpe et toutte la paine,70r de laquelle contricion a paine en peult on estre acertené.
Mon seigneur et mon Dieu, plaise toy de poursievir ceste doctrine de l’aplicacion du ceur et union avec toy.
Sachies, ma fille, que nulle vertu ne oeuvre est souffisante pour salut avoir sans charité70v et ne peult la personne amer ce qu’elle ygnoire totalement et ne congnoist. Pourquoy il est necessaire de moy Dieu aulcunement congnoistre en ceste vye par naturelle raison et par foy et par le don de sapience. Car raison naturelle demoustre et enseigne71r que tout ce qui est de bonté, de perfection, joyeuseté, beaulté, sapience, felicité, et de gloire es creatures est infiniement plus parfaittement et plus noblement et totalement en ton createur. Car ce qui doit aultrui eschauffer doit estre plus chault et ainsy71v des aultres comluisant, dont beaulx et doulx est le createur et glorieux et amiable en soy meisme qui sy grant clareté et lumiere a mis ou soleil, qui a emprint es pierres precieuses, es herbes, et es fleurs sy merveille [u] ses vertus, doulceur et beaultés, qui a mis72r en petite partie du corps de l’homme (c’est en la face d’aulcuns) tant grant beaulté, qui a aulcunes bestes a donné sy grant force comme au lyon, licorne, et oliphans.
O quant grande dont est sa vertu et sa puissance qui par ung mot et commandement a créé tout le monde72v entierement et l’a gouverné et gardé jusques a present, et n’a riens hors du monde en quoy il soit mys et se soustienne ne a quoy il pende ou s’apoye mais pent comme en riens synon a la main de Dieu.
O quant desirable et delicieux est en soy meismes a regarder73r et a user quant en la union et aulcunes choses corporelles il a baillié au sens sy grande dilection, et comment par sa sapience il est inprehensible, lequel a créé et mervelieusement ordonné le ciel et les elemens et touttes les choses qui sont innumerables tant73v en general comme en especial, en paix et bonne proporcion et consonance emsamble, et fait pluiseurs rivieres et grans fleuves et brachz de la grant mer courir par la grant terre, tant par dedens comme par dehors, et tout ce a fait au prouffit et pour la neccessité des74r hommes par lesquelles choses et samblablez pluiseurs nous poons congnoistre Dieu par voye naturel.
Mais encore le poons nous mieulx et plus haultement congnoistre par foy et par saincte escripture, c’est assavoir qu’il est Dieu tout puissant et eternel74v qui au commenchement de la creacion des choses crea le ciel, empire qui est tres cler et lumineux tout d’une maniere pur et tres grant, car il avironne et contient touttes aultres choses visibles et invisibles, lequel ciel ainsy lumineux au commenchement75r il emply d’angeles, lesquelz divisa gracieusement et tres sagement en ix ordres esquelz sunt innumerables de milliers de benois esperis. En oultre en la fin dez sieclez le monde sera renouvellé et purgié et sera en plus grant beaulté et perfection,75v car les corps celestes seront en plus grant clareté, comme le soleil sera sept foys plus cler qui n’est a present et la lune comme le soleil est maintenant. Et ainsy a proporcion des aultres estoilles et planettes et corps humains des benois esleus seront sans comparison76r plus beaulx et plus clers que le soleil. Car ilz aront lez douairez du corps, est assavoir aligité — c’est a dire legiereté et subtilité que ilz percheront tout sans contradicion — clarté sept foys plus clers que le soleil ne sera et impassibilité que riens ne les porra nuire (et76v suppose qu’ilz fuissent en purgatoire ou en enfer, se ne souffriroient ilz point de mal) et puis l’ame benoitte conjoincte avec son corps laquelle pareillement ara trois douaires, est assavoir vraye congnicion de Dieu sans povoir errer, tencion sans jamais le77r povoir perdre, et doulce fruicion en toutte saveur en saciant tout son appetit. Et en la redondance de ceste glorieuse ame en son corps sera merveilleuse lumiere que corps humain mortel ne poroit veoir ne soustenir par quoy poes penser aulcunement77v la noblesse et gloire des benois esleus aprés la resurection generale. Et par ainsy en considerant les creatures et les oeuvres merveilleuses du createur tu porras par raison naturel et par foy et les escriptures monter a la congnoissance du createur, de sa78r beaulté, puissance, sapience et excellence merveilleuse par dessus touttes choses, par quoy devras estre esmeue de l’amer, cremir et honnourer de toutte ta puissance, et luy complaire par dessus touttes choses.
Mon tres excellent seigneur78v et createur, par ta grace et ton ayde je entens aulcunement les choses dessus dittes (combien que non pas sy subtillement et parfondement comme les clers et ceulx qui estudient et se excercitent es escriptures), et come j’aperchoie tres vilez et ordes et miserablez79r sont les personnes qui sont mauvaises, iniquez et injustes et plains de pechiéz charneulx, qui ont mis leur entendement et pensee es creatures terriennes et sensibles et ne retournent point toutte leur congnoissance a amour, a l’onneur, et amiration79v de Dieu.
Encore te esleveray et enseigneray a plus haulte contemplacion de moy, ton Dieu et createur.
Les sept dons du saint esperit sont80r inseparablement adjoind et couplés a charité, desquelz le premier et le plus digne est sapience espirituelle, laquelle est congnoissance de Dieu et saveur interiore par laquelle nous sentons de Dieu et esperimentons qui est le souverain et tres glorieux bien,80v parfait et incomparable, et est bonté pure et infinie verité tout enluminant et eternelle et souveraine puissance. Dieu dont est ung tres simple estre sans composicion nulle, toutte perfection et pre-eminence plainement contenant ouquel est infinie81r beaulté, doulceur sans mesure, toutte noblesse, puissance, beatitude, et gloire sans fin et sans mesure. Et finablement en la contemplacion de moy, tres glorieux Dieu, est souveraine delectacion, doulceur merveilleuse, et souveraine paix, et transquilité.
Et81v si comme tu me dois sur touttes choses souverainement de tout ton ceur amer, ainsy te fault esjoyr avec moy de ma tres infinie et incomparable perfection, felicité, et tres grant gloire, et tres ardanment desirer que de touttes personnes soyent deuement améz82r et honnourés, et de tout ton povoir dois ad ce labourer et aultrui aydier. Et ainsy de mon deshonneur grandement te dois doloir et de mon honneur et reverence grandement esjoyr. Et comme plus la personne devote et saige congnoist et contemple Dieu plus clerement82v par cestuy don de sapience, de tant plus mesprise et abhomine les choses transitoires, charnelles et terrriennes. Car aprés ce que l’en a gousté et experimenté ceste saveur divine et espirituelle, la char samble amere. Et de tant plus que la sage devote personne83r gouste plus plainement et a saveur que doulz, amiables, et plus que tres glorieux et tres resplendissans et incomprehensibles suis ton Dieu, de tant plus cordialement desprisera elle toutte mondaine consolacion et affliccion. Et c’est le signe se la personne est vrayement83v espirituelle, devote, contemplative, et sagement et justement amant son Dieu et createur.
Il sont aulcuns saiges de sience du siecle et sachans sciences et les lettres par estude, ingenieux et soubtieux, qui scevent proprement et aorneement parler84r et preschier des choses divines et espirituelles, des vices et vertus, et aussy a le foys baillier bons et justes consaux. Toutesfoys ilz sont mondains de ceur, querans complayre aux hommes plus que a Dieu, ne pour ce vivent regulierement et selon virtu et commandemens84v de Dieu et de l’eglise. Desquelz dit l’escripture: ‘doleur a vous qui estes saiges en voz yeulx et prudens devant vous mesmes’.
Item ‘Dieu a dissipé et espars lez os de ceulx qui plaisent aux hommes et seront confus car Dieu les a mesprisiés et refusés’. Telz quierent leurs85r propres prouffis et honneurs plus que le bien commun, mon honneur, ne le salut des amez; pourtant ilz sont inutiles ou mains utiles a la chose publicque et aux grans seigneurs. Mais fays dilligence d’avoir toudis avec toy personnez ayans vraye prudence,85v discrecion et virtus, en tant que par leur discrecion soyez droittement menee et soustenue. Et sy prye tousjours et invoque le saint esperit adfin qu’il te veulle mouvoir par dedens et demener et enseigner et fayre croistre en ceste sainte et espirituelle sapience86r de la quelle l’escripture tesmoingne que la sapience qui vient d’en hault est premiers chaste et de bel maintieng, paisible, preste de rechevoir ou donner plaine exhortacion de misericorde et de bons fruis.
Salutaire sont ces doctrines86v et enseignemens mais il sourt et vient une grande question et difficulté. Car nous veons aulcuns mauvais et charnelement vivant et ambicieux et convoiteux et nientmains tres prudens en droit et justice et bons conseilliers.
Aussy Aristote,87r payen philozophe tres grant sy renommé, escript et declaire que nul est vrayement prudent et saige s’il n’est virtueux. Mais les mauvais ont bien aulcune samblance et vraye prudence comme une naturelle industrie, engin subtil et agu, experience87v et congnoissance acquise de droit non parfaitte par lesquelles choses pevent donner aulcuns bons consaulx, et pour ce ay dit qu’ilz sont inutiles au bien publicque ou mains utiles.
Les payens principalement infideles et cestuy Aristote dessus88r dis, n’ont pas esté virtueux de vertu pour acquerir vye eternelle, comme il soit escript qu’il est imposible de plaire a Dieu sans foy, ja soit ce qu’ilz ayent baillié pluiseurs bons consaulx et doctrine comment on doit conseillier et vivre.
Ces payens dessus dis,88v et si comme encore maintenant sont aulcuns Sarrasins et hors de la foy qui eurent et ont les virtus polliticques, naturelles et acquises qui ne sont pas virtus parfaittes, et par ainsy ilz peurent et pevent encore donner aulcuns bons counsaulx pour89r parvenir a leurs fins et inparfais. Toutesvoyes pour ce qui ne les ordonnoient ne ordonnent pas a la parfaitte fin de touttes oeuvres humaines, bien rieuglees, beatifique et salutaire, c’est assavoir a l’onneur de Dieu, pour ce n’estoient elles pas89v ne sont virtus ne consaulx absolutement salutaires pour la vye eternelle.
Ces chose ycy me sont trop subtilles. Mais pour ce que dit as que sans charité riens n’est meritoire ne a Dieu plaisant ne aggreable, je te prye, enseigne moy90r comment poray prouffiter en ta saincte amour et vraye charité de touttes personnes.
Se tu scavois ja aulcun homme en ce monde d’aussy grant bonté et saintité90v que fust saint Pierre l’appostre, ou d’ausy grant sapience et grant prescheur et faisant ausy grant fruit en ses sermons que saint Pol, ne amerois tu pas bien ung tel homme et le desirois a veoyr et oyr? Comment dont ne es tu pas embrasee de l’amour de moy, ton91r createur, lequel ne doutes estre sans mesure et infiniement meilleur, plus sains et plus saiges de tous les saintz? Certe la chose est d’autant a amer et desirer qu’elle a de parfeccion, de bonté et saintité. Premierement par la consideracion de ma souveraine et91v infinie et tres pure bonté et beaulté et sapience qui n’ont point de fin ne de terme dois estre tres ardanment enamouree de moy.
Secundement dois estre emflambee de ma saincte charité par la consideracion de mes tres haultains et innumerables92r benefices, tant es dons de nature comme de grace et en mes promesses de gloire pardurable, car je t’ay donné vivre et sentir et entendre, corps et tous ses menbres parfaittement, et ame et touttes ses vertus sans en delaisier riens. Et s’il te defailloit aucun membre92v comme main ou piet ou l’un des .v. sens come oyr et veyr, conbien amerois tu celuy qui le te renderoit? Par quoy appert que tres ardanment doys amer celuy qui tout ce que dit est t’a donné parfaittement et qui t’a presté tout ce que tu es et que tu as. Et encore93r plus dois estre embrasee en considerant que je, ton Dieu et createur, pour l’amour qu’avoie a toy m’ay fait ton frere et pour ton salut suis devenu homme alant par le monde anunchant par vertueuse vye et doctrine ton salut, et dernierement pour toy ay93v esté pendus en l’arbre de la croix tres angoiseusement.
Oultre plus t’ay sy longument espargnié et sy pasciamment soustenu en tes pechiéz, et que pour toy fortifier t’ay donné viande et bruvaige mon precieux corps et mon sang ou sacrement de l’autel pour la vye et peuture94r de ton ame, et que aussy suis tousjours prest quant tu vouldras fayre penitance toy pardonner tes pechiéz et donner grace et vertus de perseverer en bien. Et que plus est et par dessus tout ce que dit est t’ay promis et suy prest et appareillié de moy94v meisme donner pour ton lewyer adfin que me posesse sans fin en joye eternelle et que tu voyes et assaveures ma plus que tres belle et plus que tres glorieuse divinité, une essence en trinité, clerement et sans moyen en l’acomplissement parfait et solant tous95r tes desirs par non muable seureté.
O seigneur tres begnin, tres liberal, et oultre toutte beaulté puissans, ces aguillons et tysons d’amour que tu m’as dit sont trop grans et plus que dire ou escripre l’on ne poroit pour toy amer et tres embraseement desirer. 95vHellas, trop grande et trop lamentable est l’ingratitude, la peresse, et la perversité de nous que nous consentons et faisons la voulenté des tres crueux et mauvais espris, ennemis de noz ames et de nostre salut, et deboutons l’amour de toy de noz ceurs, nostre96r createur, et enquerons nous plus deliter es choses vaines, ordes, et de nulle valeur que en toy plus digne que mille creature porroit ne scaroit entendre ne penser. O mon seigneur et mon Dieu, que te renderay jou pour tous les biens que tu m’as donné? 96vHelas, combien d’amez a engoulé infer qui mains avoient pechié et plus virtueusement vescu que moy? Pourtant dont mon ame beney, mon seigneur et mon Dieu, et ne oublies pas ses doulz benefices.
Ceste charité est tres pur bausme et tres97r precieux unguement que on ne peult ne rechevoir ne garder fors en ung vaissel net et noble, c’est en ceur nettoyé de pechiéz. Et pour ce de tant que tu seras plus dilligente et songneuse de eviter pechiéz et toy en garder, d’otant croistera plus en charité. 97vEt ausy comme ceste charité soit don par dessus nature auquel tu ne peus parvenir par toy sans mon piteux ayde, tu dois souvent et ardanment moy requerir qu’il me plaise d’embraser, parfaire et establir en toy ma ditte charité. Car l’homme est formé98r a la samblance et ymaige de moy, ton Dieu, et racheté de mon precieux sang et créé et appellé de par moy a obtenir eternelle beatitude. Et pour ce me dois prier pour la salvacion de tous universellement et pour la conversacion des98v infideles et reformacion des christiens, pour les vivans et pour les mors, pour tes prochains subgiéz et familiers.
Et comme le bien de tant qu’il est plus divin, de tant est il plus commun, tu feras ce que tu poras qui en toy sera pour le bien conmun en99r tous tes affayres, principalement en l’estat de l’eglise et espirituel affin que les cloistres soyent reformés et la reguliere observance soit en vigeur meismement es quatre ordes des mendians qui ont a preschier aux aultres. Car par leur99v reguliere et examplaire vie et conversacion poroient croistre pluiseurs grans biens. Et se tu me dis que tu es flaibe de corps et ja anchienne de tamps, tu as ton mary, prince tres puissant, saige et vaillant, lequel peulz et dois enhorter et poindre et100r embraser pour accomplir ce que dit est. Et adfin que ne me dyes qu’il n’a point de pooir ne juridicion sur les gens d’eglise par quoy ne les poroit contraindre, tu le dois enhorter qu’il obtiengne auctorité de par nostre saint pere le pape sur les dittes100v personnes pour les reformer, comme ont jadis fait les roys et princes christiens, Charlemaigne, roy de France et aultres.
Mon Dieu et mon seigneur, tres volentiers metteray paine de fayre vostre volenté et plaisir, car je ne doubte pas101r certainement que ce ne fut chose moult prouffitable au bien civil de reformer les couvens deformés. Mais je te prie qu’il te plaise de ta divine grace moy declairier et enseigner quelle chose journellement fayre poray qui [m] e soit plus101v salutaire et fructueuse.
102rSaches, ma fille, que nul sentier ne voye est plus brief et plus court pour vaincre pechié et desprisier et debouter les delices carneux et vanités mondaines et touttes temptacions du dyable, de la char, et du monde que tousjours102v et souvent penser con grans et crueux tourmens j’ay souffert pour la delivrance et salut des hommes. Car ceste memoire en soy est tres virtueuse et meritoire et de tant plus saincte et de valeur aux choses dessus dittes, est assavoir pour esfachier103r pechié et vaincre temptacions et pour obtenir virtus, pour soy embraser en mon amour, pour soy humilier, pour avoir pacience en adversité, pour esrachier ire et envie.
Mais pour mieulx considerer ma tres amere passion, retire toy des occupacions103v exteriores, de distractions de ceur, de la mocion mondaine et afayres, et entre dedens ung lieu secret et sy te receulles en considerant ma presence; aprés comment tout l’humain lingnaige pour ses excés, desobeissance et pechiéz estoit privé104r de grace, felicité, et beatitude eternelle, subgiet au dyable et lyé de eternelle dampnacion, mais je seul, filz de Dieu mon pere, ayant pitié des perdus et de ceulx qui estoient a perdre vesty et prins nature humaine et l’ay uny a ma personne le subsistence sy104v que suis fays vray homme et ay demouré avec le monde en toutte et parfaitte humilité, pacience, povreté, obeissance, charité. Et par ainsy ay moustré aux homme la voye de parvenir a salut, lequel salut adfin que leur impetrace et recouvraisse105r voluntairement et tres pacianment souffry tres amgouseuse mort et suis fais le reffus du people en toutte moquerie et reputé pour fol.
Or regarde donc ma passion comme s’elle fust presentement devant tes yeulx et se ymagine et voy comment105v mes tres crueux adversaires moy, aignel de Dieu tres begnin et tres coy, par tres grant envie et non humainement prinrent, lierent, boutoient et sachoient, et comment ilz me bendoient et couvroient les yeulx et en ma fache crachoient, mez jouez tiroient et batoient106r mon col et mon chief, et disoient en blaphemant: ‘o Crist, prophetize nous maintenant qui c’est qui t’a frappé’; aprés comment fus presenté a Pilate et menés a Herode et de luy par moquerie fus vestus d’une blanche robe, et comment je suis deschiré de verges106v et escorgiés et a tres laide mort adjugié, comment je portay sus mes propres espaulles ma grande croix et entre deux larons fus pendus en croix, et ayant soif fus abruvés de fiel et d’aisil et estendus tout mon corps tres violentement en107r la croix. Regarde dilliganment qui, dequel estat et complection et con grant je suis qui tout ce ay pour toy souffert.
En verité je suis vray Dieu, tres saint et tres inocent homme, seigneur des angeles, roy des cieulx, et pense les choses dessus dittes par grant107v attencion de ceur:
primes que ne soyez ingrate par oubly et consideracion a ton sy tres grant sauveur et bienfaitteur; secondement adfin que tu ayes de tout ton ceur de moy compacion; tierchement ausy adfin que ensieve de tout ton pooir108r ma passion en chastoiant ton propre corps par discrecion et en toy excercitant es oeuvres de penitance, et en sievant feablement les vertus que je t’ay moustré et enseigné en ma ditte passion. Car se je, ton seigneur et ton Dieu, ton sauveur et108v juge de ton ame, me suis maintenu en toute ma vye, conversacion, et passion sy humblement, pacianment, coyement, obeyssanment, et charitativement ne seroit ce pas chose malseant, injuste et desordonnee que tu, ma creature et ancelle, fusse orgueilleuse,109r impaciente, yreuse, et inobediente et sans charité? Et ay souffert pour toy donner example d’ensieuvir la trache par où j’ay passé.
Mon tres piteux seigneur et Dieu, donne moy grace de ce acomplir.
L’escripture te enseigne et enhorte s [a] lutairement que en touttes tes oeuvres et operacions dois penser a ta fin dereniere et par ainsy tu ne pescheras pas. Pourtant mon saint esperit110r a chanté et dit des folz amans de ce monde: ‘gens sans consel et sans prudence, o se ilz assavouroient et a la mienne voulenté entendissent et pourveissent a leurs derrains affaires’. Regarde, que peult estre plus grant folie et desraisonnable que110v de querir et desirer plus la prosperité de ceste presente briefve, incertaine et doloreuse vie que de la vye eternelle? Et nientmains tu vois que tant en y a qui ce font, lesquelz vivent a maniere de bestes, entendans a terriennes richesses, delices charneulx et111r honneurs transitoires comme s’il ne fust point d’aultre vye aprés ceste presente.
Mais que feront ces nobles personnes sy dilicieusement nourriez qui maintenant ne pevent pacianment soustenir une puche ou aultre petitte passion, quant ilz conmenceront111v descendre en enfer et estre batus de ces martiaux pesans et estincellans et bruler en ce tres ardant feu de souffre et aultres choses puantes? Quant les dyables leur conmencheront par derision mettre leurs cornes et atours curieux, disans et chantant:112r aornons et achemons diligamment ceste damoiselle ou ceste dame selon la maniere et la guise de son tamps passé qu’elle se enoindoit et enbelissoit au monde pour nous complaire. Et aussy donnons luy a boire et a mengier de ces frians112v morsiaux qu’elle soloit sy curieusement fayre appareillier. Car il fault les paines estre corespondans aux demerites et les doleurs aux delices, adfin que d’otant qu’elle s’a glorifié es delices, autant aye de par nous de tourmens et de paine, synon que certainement113r quant a la duracion n’a quelque comparison. Car pour temporel et briefve carolerie et plaisir ares eternelle cririe et lamentacion, et pour courte delectacion eternelle pugnicion sans fin et sans estimacion. Plus seront grans et griefz les amgoiseux tourmens113v que n’ont esté les doulceurs des vaines joyez passees.
Et mon tres bon, tres piteux et misericors seigneur, n’aras tu pas pitié et mercy de telles povres ames estans en telles importables paines?
Ce samble il que je soye accepteur de114r personnes ne que je regarde leurs fachez, ne est pas droit et justice de requerir plus a cestuy a qui j’ay plus presté? Ne dist pas l’escripture verité qui tesmoingne: ‘peu de tamps et a petis est ottroyé misericorde, mais les grans et puissans soufferont114v puissanment les tourmens, et aux fors sera plus fort tourment’? Laquelle chose est ditte des fors et puissans qui mal usent de leur force et puissance.
Ascoutez moy entre vous, nobles pucelles et matrones nourries en touttes delices, en tant que par vostre115r tenresse de corps et de meurs a paines poves soustenir voz corps et passer sur voz piéz, sinon ad ce a quoy vous estes maintenant le plus accoustumeez de vostre propre et liberale voulenté et vous esjoyr en danses, carolles, courir inordeneement, estre prisiés115v et honnourés, et delicieusement nourris en mengiers superflus, et vestues sumptueusement et noblement et molement couchiés, et n’aves accoustume riens souffrir et par especial pour moy, de tant vous sera plus grief et mains portable116r d’estre en la prison d’enfer rencloses en tourment, abruveez de infernal bruvaige tres amer, du fiel des dragons d’infer et du venin des serpens, et oultre plus de pardurable fain et de tres ardant soif sans refrigeracion estre tormentés sans merchy. 116vRegarde dont a quoy parvient la vye dilicieuse des charneulx et qui ne tiennent compte de moy et ne ayment ne craindent par quoy ilz ne me veullent ensievir par l’estroitte voye de salut.
Helas, mon Dieu et mon seigneur, trop me espoentent tes117r parolles que me dis et ygnores et ne scay auquelles me tourneray.
Ne ay je pas dit en l’euvangile: ‘doleur a vous riches qui aves ycy vostre deduit et consolacion, doleur a vous qui maintenant ryes car vous plourres et gemisseres,117v doleur a vous qui estes maintenant remplis de viandes car vous arez fain’? En oultre adfin que plus ayez peur je te proposeray une salutaire ymaginacion. Ne croy tu pas que le feu d’enfer soit plus chault que le feu de ce monde et aussy que la paine d’enfer118r passe tous les tourmens de vostre vye?
Je croy fermement que ainsy est, et seult on dire que le feu d’enfer est a comparer a cely de cest monde comme le feu de ce monde au feu paint en une paroit. Et aulcuns de devocion alleguent saint Augustin disant118v en son livre de penitance que ja soit ce que les saintz martirs ayent souffert tres crueux tourmens, toutesfoys la paine de purgatoire sy les surmonte en doleur.
Imagine dont et pense quel tourment seroit de couchier nu et la ainsy tousjours119r lyés et enclos en une fornaise tres chaude et tres ardante ou jamais n’aroit quelque attrempance.
Mon ceur fort s’en espante et sy ne poroye sans grande affliction veoyr homme couchier en tel torment, nientmains doubter ne puis que l’angoisse119v et paine des dampnez ne soit encore trop plus grande, et pour ce se dire osoye me esmerveilloie que tu as créés ceulx que tu as preveu que ilz cheroient en sy miserables paines et tourmens.
Ne cuides pas le tourment infernal120r estre le dit feu tres ardant seulement. Car illec sont encore pluiseurs aultres tourmens plus griefz sans comparison et plus dangereux a soustenir comme tres excessif froit par dessus touttes aultres froidures — comme le dit feu sur aultres chaleurs — aussy tenebres120v palpables, punaisiez tres nuisant, lieu horrible, compaignie tres desolee, gemissemens, pleurs et uleries penieuble, vision des dyables, et pardurable desperacion sur touttes paines apesandisant, tourmentant, et transperchant le ceur. Car sur touttes121r paines dessus dittes ce perche le ceur des dampnez que en tant et sy grans tourmens on scet et congnoist que la on demoura sans jamais yssyr.
Je ne me puis assez esmerveillier que tu, tres misericordieux Dieu, puelz souffrir et veoyr tant et sy121v grans tourmens de tez creatures.
Ne poise tu pas mon infinie justice et combien je deteste et hay pechié et injustice, ainsy comme le pechié a en soy aulcunement infinie deformité veu qu’il est fait et avoé contre ma infinie majesté et commandement122r sans mesure? En aprés je, createur omnipotent, quant est de mon costé je veul touttes personnes estre sauvees et venir a la congnoissance de verité, et ad ce fayre leur envoye pour eulx garder et sauver mes saintz angeles et les amoneste et fay amonester122v en pluiseurs manieres par diverses inspiracions et puis attens pacianment et longuement leur amendement, touttes lesquelles tres misericordieuses attractions les reprouvés et dampnéz tiennent pour ingratitude et n’en scevent gré ne mercy, et pourtant123r pour leur ingratitude ne me appartient pas delaissier ce qui apartient a ma bonté et demoustre et recommande ma haultaine justice. N’apartient il pas a la fortresse royale qu’il y ait prisons pour bouter et pugnir les malfaitteurs de leurs demerites? 123vEt justement et ausy les bons et justes se esjoisent voyans fayre la pugnicion des mauvais.
Plus affiert et prouffite a ma simplesse de prudentement cremir que de curieusement enquerir et demander. Hellas, nous devons avoir compacion de la miserable124r aveugleté des pecheurs qui courent en infer les yeulx clos, faisans sans quelque crainte de Dieu leur maises volentés et que pis est se resjoisent et glorifient en leurs malices.
Qui est droit avisé soy qu’il ne chee. Mes jugemens sont incomprehensibles124v pourquoy benois est cestuy quy tousjours est cremeteus.
Mon tres begnin seigneur, reconforte moy et console ung peu, tant fort espantee et cremeteuse.
125rLa joye et plaisir du juste est de fayre justice et pareillement aux piteux de fayre misericorde et de pardonner, et moy dont qui suis roy sur tous tres misericordieux je me esjoy de fayre misericorde et pardon, car je ne delaisse nul ayant125v esperance en moy mais qu’il se veulle amender par penitance. Et combien tant de paines et sy grans tourmens soyent aux mauvais ordonnés et appareilliéz, toutesfoys plus grandes joyes et plus glorieux loyers sont appareilliéz aux justes et a mes esleus, comme126r dit l’appostre: ‘la coronne de justice m’est gardee et mise a part’. Car sans doubte les paines et labeurs et passions de ceste briefve vye presente ne sont pas a comparer a la gloire eternelle ad venir car ‘oeul ne vey oncques, ne oncques ne fust oy, ne en ceur d’homme126v entra la gloire que j’ay appareillié a mes esleus serviteurs’.
Quelz biens, quelz joyez, et quelz loyers ont les cytoiens de ta haultaine cité de paradis?
Sy tres grande et sy large est ma dilection envers mes esleus amys que je leur donne moy meisme. 127rCar comme aprés que je fuy nés temporellement de la glorieuse vierge où prins char et corps humain pour habiter et converser avec les hommes en ce monde, je me donnay et me fis leur frere et compaignon en buvant et mengant et soustenant les paines de ce127v monde largement. Et ou dernier soupper me donnay en sacrement pour estre leur viande, et aussy me donnay a Dieu mon pere par cruelle et tres horrible mort comme le pris pour racheter tout l’humain lingnaige. Ainsy en l’eglise triumphante (c’est en paradis) je me donne128r a eulx pour leur loyer et suis leur heritaige, possession et retribucion, et toutte la glorieuse trinité. Car leur loyer objectal qui voyent est la souveraine trinité de laquelle ont a leur plaisir la fruicion et la clere et beatifique vision sans couverture où sont128v plainierement et tres souefment remplis de refections, saoulés, contentés et asouffis que plus ne pevent desirer ne jamais la delaissier.
Considere dont maintenent et pense quelle gloire et quelle beatitude plus que dire ne se peult est et sera de moy veoyr face129r a face en ma divinité qui suis de infinie beaulté, de toutte noblesse, et d’avoir fruicion de moy sans moyen quy suis plain de doulceurs sans mesure, et estre conjoint sans fin et uny a la fontaine et commenchement et fin de tout bien, la où est la perfection129v de toutte beaulté et bonté, de toutte noblesse, de sapience, puissance, richesse, et de toutte doulceur, et tout ce qu’il en peult desirer car toutte plenitude de parfaitte gloire.
Pense dont de quelle purté et netteté il fault estre pour estre mys sy haultement a quoy nulz130r ne peult parvenir que par grace.
O tres misericordieux seigneur, desja me as bien recréé et doulcement consolé et gracieusement conforté. Car aulcunement comprens et experience l’aproeuve et tesmoingne que de tant que la chose est plus belle, de tant est elle plus130v joyeuse a veoir; et de tant qu’elle est plus douce, de tant est elle plus delicieuse a gouster et a en user. En aprés se tant est a desirer de veoir ung angele et principalement ta benoitte vierge mere, sans quelque comparison plus joyeuse chose, plus doulce, plus noble,131r plus desirable et plus heureuse est et sera de toy veoyr clerement, et par fruicion gouster qui es le souverain parfait et infiny bien, Dieu auquel tout le monde comparé n’est fors petite pouldre et comme dessus ay aprins n’est comme riens.
Sagement131v as parlé et bien entendu par quoy procede en contemplant quan grandes et innumerables sont les joyez de la felicité accidental et du second loyer de mes benois esleus et amys, lesquelles joyez accidentales sont en la cognicion et usaige et dilection et amour132r de mes creatures. Car ung chascun cytoyen de la cité celeste de paradis congnoist clerement, appertement les aultres cytoiens, et parfaittement et ardanment les ayme plus que oncques mere ne a amé son filz en ce present monde. Et ainsy ung chascun132v d’eulx a especial et tres grande et intensive joye d’un chascun de ses voisins et cytoiens, et sans mesure plus grande que l’on ne poroit avoir ycy de quelque chose, par quoy appert qu’em chascun saint ara autant de joye que il y ara de sauvés en paradis tant d’angeles comme de amez,133r le nombre desquelz de moy seul est congneu et des saintz. Quan grant lyesse sera a chascu [n] d’eulx veoyr ma tres glorieuse humanité deifique et ma tres sacree vierge mere, laquelle nul mortel homme ne peult dire, escripre, ne comprehendre. Oultre plus aprés le jour de133v mon jugement que ung chascun ara son propre corps glorifié, ilz aront nobles et especiaulx joyez et lyesses, car vraysamblable est que la sera loenge vocable et indisible, doulx chans et joyeux a ma loenge, et tant grande sera leur glorieuse beatitude et felicité134r et delit que mil ans ne sambleront pas estre ung jour comme en infer ung jour samble aux dampnez durer mil ans.
O tres glorieus seigneur et mon Dieu, tres benignement as mon ame consolé et rassasié dont de touttes mes entraillez134v te merchient, et encore te prie que daignes moy baillier doctrine compedieuse par laquelle puisse plus legierement tost et facilement acomplir les choses dessus dittes.
Ayme toy et moy et pour moy, et c’est assez moy amant sur touttes choses. 135rEt aussy vrayement ayme tout ce qui sera neccessaire ou expedient pour moy complaire, car il te couvient savoir qu’il sont deux amours et de l’un d’iceulx procede toutte bonne oeuvre. C’est assavoir de amour de Dieu et amour de soy en Dieu que on appelle135v amour divin et ordonné, charité par lequel l’homme ayme Dieu par dessus touttes choses et soy meismez et son prochain en Dieu. Par quoy appert que celuy qui het ung seul homme n’ayme point salutairement ne moy son Dieu ne soy meismez mais136r les aultres, car il est en pechié mortel.
L’autre amour est nommee amour de soy en soy, comme privé, propre, desordonné, et retourné en soy perversement, par lequel amour la personne ayme ses propres et singuliers prouffis, lez delis de la char,136v richesses, honneurs mondains, vains solas, danses, jus, esbatemens, dominer, estre sus les aultres et eux presider, duquel amour naissent et viennent orgeul, gloutonnie, luxure, ire, impacience, indignacion contre les injurians, accide, haine,137r et finablement non tenir compte de Dieu, et de ce vient inobedience de non voloir garder mes commandemens et de mon eglise. Mais de l’amour divin et de soy en moy viennent et sourdent humilité et subjection de soy en moy, debonnaireté137v et pacience en adversité, chasteté corporelle, netteté de ceur, discipline de son propre corps, ardeur embrasee en mon service, et toutte oeuvre de misericorde. Et ainsy de tant plus que tu croys et prouffite en arachant et destruisant [t] on propre et privé138r amour et de coy mains tiengs compte, d’autant plus croys tu et montes en l’amour de moy et augmentacions de touttes virtus. Et ainsy au contraire de tant plus que tu te ameras en toy, de tant seras plus loingz de moy et remply de pluiseurs et plus138v griefz pechiéz.
Quelle chose est ce de soy en soy amer?
C’est desirer et amer les choses qui a luy meismes sont delitables, utiles, et prouffitables et honestes, ayant tousjours regart et refrain a soy et a sa propre nature et sensuale inclinacion,139r et non pas ayant regart a la voulenté de Dieu et son propre salut.
Cela entens jou bien et me hontoye et repens en grant doleur que sy longuement et excessivement ay esté telle et de ceste condicion. Et pourtant, tres piteux seigneur,139v pardonne moy, pardonne moy ma coulpe et me donne grace de fayre con digne amendement partout. Et sy te plaise, mon tres misericordieux seigneur et Dieu, secourir a tous ceulx qui sont entechiés et souliés de ceste maleureuse amour. 140r
Maintenant t’a attaint mon saint esperit et emflambé en tant que tu desires la grace que t’ay prestee estre ainsy conmuniquié et ottroyé a tes prochains et tes proismes. Persevere et prouffite en ceste devocion, pitié et grace jusques en la fin,140v a la loenge et gloire de mon pere et moy et mon saint esperit, trois personnes en ung vray Dieu, tout puissant souverain et a beneyr de touttes creatures par tout les siecles des siecles. Amen.
Transcribed from: British Libraryshelfmark Add. MS 7970.
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This is a transcription of Le dyalogue de la duchesse de Bourgongne a Jhesu Crist. It is held by the British Library (shelfmark: Add. MS 7970). The British Library has digitised the whole manuscript which is available with a longer description and further bibliography at: http://www.bl.uk/manuscripts/FullDisplay.aspx?ref=Add_MS_7970. The digitised images are available at http://www.bl.uk/manuscripts/Viewer.aspx?ref=add_ms_7970_fs001r.
The transcription was encoded in TEI P5 XML by Emma Huber, University of Oxford.
Add. MS 7970 is a fifteenth-century manuscript, containing a single text, Le dyalogue de la duchesse de Bourgongne a Jhesu Crist. The text is divided into ‘13 articles’ and a Prologue, dealing with the contemplative life and was commissioned by Margaret of York (sister to Richard III and Edward IV of England, 3rd wife of Charles the Bold of Burgundy) to her almoner, Nicolas Finet. (See A. Mouron, ‘The Heart of a Princess: De doctrina cordis and Two Texts for Margaret of York’
, Medium Ævum, LXXXIX , No. I (2020), 1-22). The manuscript is renowned for its lavish illustration of Margaret of York, kneeling in front of the resurrected Christ. It is believed to be the work of a follower of Dreux Jean.
Materials: Parchment
15th century, between 1468 and 1477 ; Middle French
Created by encoding transcription from manuscript.
This text was written by Nicolas Finet for Margaret of York, Duchess of Burgundy (1446-1503). Folio 1v has a full page illustration of ‘Margaret of York before the resurrected Christ, in colours and gold with a full border’ (British Library website). Manuscript rubrication has been respected.